Par Peter Amsterdam
juin 24, 2024
[The Ten Commandments (Safeguarding Human life, Part 2]
Peter Amsterdam
Nous avons vu dans l’article précédent que le sixième commandement, Tu ne commettras pas de meurtre, autorise en toute légitimité une personne à se défendre pour protéger sa vie et celle d’autrui. Que se passe-t-il lorsqu’on applique ce principe à une plus grande échelle ? Un gouvernement a-t-il moralement le droit de commander à son armée de tuer ses ennemis en temps de guerre, et les soldats sont-ils moralement justifiés d’obéir à ces ordres ? Un pays est-il moralement justifié de livrer une guerre défensive lorsqu’il est agressé par un autre pays ? Existe-t-il des cas où un pays est moralement justifié de déclencher une guerre ?
Avant d’aborder les questions morales et éthiques liées à la guerre, il importe de comprendre que, si dans le passé certains chrétiens ont livré des guerres pour des motifs religieux, ces guerres étaient condamnables et immorales. Les chrétiens ne sont pas appelés à propager le christianisme en général, ni une dénomination particulière, à la pointe de l’épée. Les croyants sont appelés à livrer une guerre spirituelle contre Satan et son influence dans notre vie.
Revêtez-vous de l’armure de Dieu afin de pouvoir tenir ferme contre toutes les ruses du diable. Car nous n’avons pas à lutter contre des êtres de chair et de sang, mais contre les Puissances, contre les Autorités, contre les Pouvoirs de ce monde des ténèbres, et contre les esprits du mal dans le monde céleste. C’est pourquoi, endossez l’armure que Dieu donne afin de pouvoir résister au mauvais jour et tenir jusqu’au bout après avoir fait tout ce qui était possible.[1]
Sans doute, nous sommes des hommes et nous vivons comme tels, mais nous ne menons pas notre combat d’une manière purement humaine. Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas simplement humaines ; elles tiennent leur puissance de Dieu qui les rend capables de renverser des forteresses.[2]
La Bible révèle que le retour de Jésus ouvrira une ère de paix dans le monde.
Car de Sion viendra la Loi, et de Jérusalem la Parole de l’Éternel. Il sera l’arbitre des peuples. Oui, il sera le juge de nombreuses nations. Martelant leurs épées, ils forgeront des socs pour leurs charrues, et, de leurs lances, ils feront des faucilles. Plus aucune nation ne brandira l’épée contre une autre nation, et l’on n’apprendra plus la guerre.[3]
Si nous pouvons nous réjouir qu’un avenir idyllique nous attend, malheureusement, le monde d’aujourd’hui n’échappe pas aux ravages de la guerre. Comme le déclarait à juste titre un célèbre général : La guerre c’est l’enfer.[4]
Il existe parmi les chrétiens des divergences d’opinions en ce qui concerne le caractère moral et éthique de la guerre. Certains considèrent que les chrétiens sont tenus d’obéir à leur gouvernement et de participer à ses guerres, puisque le gouvernement est ordonné par Dieu. Ce point de vue est parfois appelé activisme. D’autres chrétiens estiment que les croyants ne devraient jamais participer à une guerre ; c’est ce qu’on appelle le point de vue pacifiste. D’autres encore pensent que les chrétiens peuvent participer aux guerres justes de leur gouvernement, mais pas aux guerres injustes ; c’est une position que l’on appelle parfois le sélectivisme, mais que l’on désigne plus souvent sous le terme de guerre juste. Voici une explication rapide de chacun de ces points de vue.
La Bible enseigne que le gouvernement civil est ordonné par Dieu et qu’il a la responsabilité de protéger ses citoyens. On considère un concept énoncé dans le livre de la Genèse après le déluge comme le fondement légal autorisant à ôter la vie à ceux qui tuent injustement des êtres humains.
« Je redemanderai la vie de l’homme à l’homme, à l’homme qui est son frère. Si quelqu’un verse le sang de l’homme, son sang sera versé par l’homme, car Dieu a fait l’homme à son image. »[5]
En Romains 13, que nous avons étudié plus tôt dans cette série, nous lisons que l’autorité gouvernementale est ordonnée par Dieu et qu’elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, redoute-la. Car ce n’est pas pour rien qu’elle peut punir de mort. Elle est, en effet, au service de Dieu pour manifester sa colère et punir celui qui fait le mal.[6] L’apôtre Pierre écrivait :
Pour l’amour du Seigneur, soumettez-vous à vos semblables, qui sont des créatures de Dieu : au roi qui détient le pouvoir suprême, comme à ses gouverneurs.[7]
Dans d’autres passages du Nouveau Testament, nous lisons également que Dieu a ordonné le gouvernement civil et que nous avons l’obligation de lui obéir.[8]
Le point de vue de l’activisme est que, puisque le gouvernement est ordonné par Dieu, désobéir au gouvernement revient à désobéir à Dieu. Par conséquent, les citoyens d’un pays ont l’obligation d’obéir lorsque leur gouvernement leur commande de participer à la défense de leur pays, même si cela les amène à tuer d’autres êtres humains.
Le point de vue pacifiste chrétien considère que tuer un être humain est toujours condamnable et que, par conséquent, on ne peut jamais justifier la participation d’un chrétien à une guerre. Cette conviction est ancrée dans le sixième commandement, Tu ne commettras pas de meurtre[9], ainsi que dans la recommandation de Jésus de ne pas opposer de résistance à celui qui vous veut du mal.[10] Le pacifisme chrétien se fonde sur le fait que l’acte consistant à ôter intentionnellement la vie à quelqu’un est un meurtre, et que le meurtre est toujours condamnable. Puisque l’objet de la guerre est de tuer des gens, elle est intrinsèquement mauvaise et immorale, et par conséquent les chrétiens ne devraient jamais prendre part à une guerre.
Les pacifistes chrétiens sont confrontés au problème des textes de l’Ancien Testament qui cautionnent parfois la guerre. Certains pacifistes soutiennent que les guerres ont été ordonnées par Dieu pour les mêmes raisons que Moïse a autorisé le divorce—à cause de la dureté de cœur des gens. Jésus disait :
C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de divorcer d’avec vos épouses. Mais, au commencement, il n’en était pas ainsi.[11]
Leur position est que Dieu ne veut ni n’ordonne la guerre pas plus qu’Il n’approuve le divorce. Dans l’Ancien Testament, les guerres n’étaient pas conformes à la volonté parfaite de Dieu, mais seulement permises et tolérées par Dieu.
Norman Geisler a écrit :
L’un des principes fondamentaux du pacifisme est qu’il n’y a aucune distinction de fait entre ce qu’une personne est tenue de faire en tant que citoyen privé et ce qu’elle est obligée de faire en sa qualité de fonctionnaire. Ce qui est condamnable pour une personne dans son quartier est condamnable dans n’importe quel autre endroit du monde.Le fait qu’une personne porte un uniforme militaire n’annule en aucun cas sa responsabilité morale.... Personne ne peut être délié du commandement de Dieu de ne pas tuer simplement en changeant d’uniforme. Le commandement de ne pas tuer n’est pas abrogé par les obligations d’une personne envers son pays. Dieu seul détient le pouvoir de vie et de mort.[12]
Contrairement à l’activisme (la position selon laquelle il est toujours moralement justifié de faire la guerre si votre gouvernement l’ordonne) et au pacifisme (le point de vue selon lequel il n’est jamais moralement juste de faire la guerre), le sélectivisme est le principe selon lequel certaines guerres sont moralement justifiables et que, par conséquent, il est moralement juste d’y prendre part. C’est ce que l’on appelle communément la « doctrine de la guerre juste »
Si certaines guerres sont justes et d’autres injustes, le point de vue sélectiviste considère qu’un chrétien a moralement le droit de participer aux guerres justes, mais pas aux guerres injustes. D’un bout à l’autre de la Bible, nous avons des exemples de situations où le peuple de Dieu a désobéi à juste titre à son gouvernement lorsque ses décrets contrevenaient à la loi morale de Dieu.[13] Toutefois, les Écritures saintes enseignent également que les gouvernements ont la responsabilité de réprimer le mal et de punir ceux qui commettent des actes condamnables. L’apôtre Paul écrivait que les gouvernements portent l’épée pour une bonne raison, et qu’ils disposent donc du pouvoir depunir ceux qui font le mal.[14] Le gouvernement civil est chargé de protéger ses citoyens contre les criminels, et il va de soi qu’il est également responsable de la protéger ses citoyens contre des attaques perpétrées par un autre pays.
Saint Augustin (354-430 ap. J.-C.) est généralement considéré comme le premier chrétien à avoir formulé une doctrine de la guerre et de la justice, fondée en partie sur les enseignements de philosophes grecs et romains antérieurs. Il faisait valoir que certaines guerres sont nécessaires pour corriger un mal. Par la suite, saint Thomas d’Aquin révisa l’enseignement d’Augustin en proposant trois conditions qu’une guerre se doit de remplir pour être juste. Au fil du temps, ces critères se transformèrent en doctrine de la guerre juste, laquelle propose une justification morale pour entrer en guerre ainsi que les règles d’une conduite morale en temps de guerre.
La théorie de la guerre juste a pour ambition de traiter de trois vérités qui peuvent paraître incompatibles :
La doctrine de la guerre juste tente de préciser les conditions qui doivent être remplies pour déterminer s’il est moralement justifiable d’entrer en guerre et, si l’on entre en guerre, de quelle manière morale et éthique on doit la mener. L’objectif de cette doctrine n’est pas de justifier la guerre, mais d’empêcher ou en tout cas de minimiser la portée de la guerre en montrant qu’elle n’est légitime que dans certaines circonstances, faute de quoi elle est immorale et condamnable. Le postulat de base est que la guerre est toujours mauvaise, mais qu’une guerre juste est parfois le moindre de deux maux.
Voici, d’après la doctrine de la guerre juste, les conditions qu’une guerre se doit de remplir pour être juste. Ces règles portent à la fois sur les exigences morales pour entrer en guerre et la manière dont la guerre doit être menée. Les exemples cités donnent une idée générale de ce qu’impliquent les conditions d’une guerre juste, bien qu’elles soient plus complexes et plus précises que ce qui est mentionné ici. Il importe également de noter que les gouvernements qui veulent justifier une guerre injuste peuvent manipuler ces critères.
Une cause juste
Lorsqu’un pays est attaqué par un autre pays, il est juste que le pays agressé déclare la guerre à son agresseur pour se défendre. Un autre scénario dans lequel la guerre peut être acceptable est celui où un pays massacre un grand nombre de ses propres citoyens. Dans ce cas, un autre pays a le droit d’intervenir militairement pour faire cesser les massacres.
Une autorité juste
La Bible enseigne que Dieu a donné l’« épée » à la puissance publique, et non pas à des personnes individuelles ; seule une guerre déclarée par les autorités gouvernementales compétentes peut être considérée comme légitime. Ce sont les autorités gouvernementales dûment constituées qui sont compétentes pour juger si les conditions pour déclarer la guerre sont remplies.
En dernier ressort
Avant d’entrer en guerre, tous les moyens de prévention non militaires, comme la diplomatie, la négociation, la résolution des conflits, etc. doivent être épuisés. La seule chose qui puisse justifier le massacre brutal qu’entraînera la guerre est l’échec de tous les moyens légitimes de prévention.
Une intention juste
Une guerre n’est juste que si elle est livrée pour une raison juste. Les guerres déclenchées pour des raisons de gloire nationale, de vengeance, d’accaparement de terres, d’asservissement de populations, de soif de pouvoir, de haine de ses ennemis, de génocide ou de préservation du pouvoir colonial sont immorales parce que les intentions de la guerre sont immorales. Les guerres livrées pour de bonnes raisons, telles que l’instauration, le rétablissement ou le maintien d’une paix juste, la réparation d’un tort, ou pour se porter au secours de personnes innocentes, sont considérées comme des guerres justes. Le principal objectif d’une guerre juste doit être de rétablir la paix ; et la paix qui suivra la guerre doit être plus grande que celle qui aurait pu être obtenue sans faire la guerre.
La probabilité du succès
Le fait de livrer une guerre qui se soldera immanquablement par d’innombrables victimes et pertes en vie humaine, et par des destructions massives, sans espoir raisonnable de succès, est moralement inacceptable, quelles que soient la justesse et le bien-fondé de la cause. La guerre livrée par les États-Unis au Viêt-Nam en est un exemple. Les Pentagon Papers ont révélé que le Pentagone avait calculé à l’avance que l’armée américaine n’avait aucune chance raisonnable de gagner la guerre au Viêt Nam —et ils ne se trompaient pas.[15]
Proportionnalité du coût
L’objectif de la guerre doit être proportionnel à l’agression. Par exemple, si un pays A envahit un pays B et annexe une partie de ce pays, le pays B a le droit de récupérer les terres qui lui ont été prises. Toutefois, il est contraire à l’éthique que le pays B poursuive la guerre pour conquérir la totalité du pays A. Une autre interprétation de cette condition est de dire que les gains de la guerre doivent être proportionnels à son coût : pour être juste, une guerre doit empêcher plus de mal qu’elle n’en cause, et elle doit permettre d’éviter plus de souffrances qu’elle n’en entraîne dans son sillage.
Une déclaration formelle
Lorsque le gouvernement d’une nation décide d’entrer en guerre contre un ou plusieurs autres pays, il a la responsabilité d’annoncer son intention d’entrer en guerre ainsi que les conditions qui permettraient de l’éviter. Le fait d’informer l’autre nation des conditions pour éviter la guerre permet à cette dernière de savoir ce qu’elle doit faire pour empêcher la guerre. Cette déclaration formelle permet également aux citoyens du pays qui déclare la guerre de connaître les raisons invoquées par leur gouvernement pour entrer en guerre en leur nom ; la population peut ainsi juger de la justesse de la guerre au regard des morts et des destructions qu’elle entraînera. Cela assure de la transparence, de sorte que les citoyens savent ce que le gouvernement fait en leur nom.
Des méthodes de combat justes
Même si une guerre est juste, toutes les actions entreprises pour la livrer ne le sont pas forcément. L’utilisation d’armes chimiques, par exemple, est inhumaine. Torturer des prisonniers est immoral. Tuer intentionnellement des femmes, des enfants et d’autres civils est injustifiable. Il y a toujours des victimes civiles en temps de guerre, mais il est immoral de les prendre pour cible.
Le terrorisme, qui consiste à agresser quiconque se trouve dans un lieu que l’on prend pour cible (un magasin, un bâtiment, etc.), est une forme de guerre inacceptable, car le terrorisme vise délibérément des civils et non pas des installations militaires. Si l’armée d’un pays s’attaque intentionnellement à des habitations, des villages ou des quartiers habités par des civils, ces faits d’armes sont considérés comme du terrorisme d’État.
En résumé, le point de vue sélectiviste dit que lorsqu’une guerre est manifestement injuste, il est moralement condamnable pour un chrétien d’y participer ou de la soutenir. S’il est vrai que les chrétiens ont l’obligation d’obéir au gouvernement civil, pour autant ils ne sont pas obligés d’obéir lorsque ce gouvernement leur ordonne de commettre des actes injustifiables. Dans ces conditions, le principe biblique selon lequel « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »[16] s’applique. Refuser de participer à la guerre d’un pays lorsque le service militaire est une obligation aura probablement des conséquences pour ceux qui ne s’y soumettent pas.
Mais si vous endurez la souffrance tout en ayant fait le bien, c’est là un privilège devant Dieu.[17]
La guerre est un effroyable fléau, entreprise par des gouvernements pour diverses raisons—certaines justes, d’autres injustes, certaines morales, d’autres immorales. Tout gouvernement qui fait entrer son pays en guerre exposera vraisemblablement ses raisons de le faire et les présentera comme étant justes et morales. Dans certains cas, elles sont véritablement justes ; dans d’autres, les raisons invoquées sont formulées de manière à faire accroire qu’il entre en guerre pour des raisons justes, alors que ce n’est pas le cas. Pour les chrétiens, il convient d’examiner dans la prière si votre gouvernement est justifié dans la guerre qu’il mène ou entend mener ; et si ce n’est pas le cas, vous pouvez user de moyens légaux pour protester et faire ce qui est en votre pouvoir en élisant d’autres dirigeants pour gouverner votre pays.
Note
Sauf indication contraire, toutes les citations bibliques sont extraites de La Sainte Bible, Version du Semeur, copyright © 2000 Société Biblique Internationale. L’autre version citée est la Segond 21 (S21). Tous droits réservés.
[1] Éphésiens 6.11–13.
[2] 2 Corinthiens 10.3–4.
[3] Esaïe 2.3–4.
[4] Attribué au Général William Tecumseh Sherman qui combattit durant la Guerre Civile américaine.
[5] Genèse 9.5–6 S21.
[6] Romains 13.4.
[7] 1 Pierre 2.13–14.
[8] Pour plus de précisions sur le gouvernement civil ordonné par Dieu, voir Les Dix commandements. L’Autorité, 1ère et 2ème parties.
[9] Exode 20.13
[10] Matthieu 5.39.
[11] Matthieu 19.8.
[12] Norman L. Geisler, Éthique chrétienne (Grand Rapids. Baker Academic, 2010), 227.
[13] Cf. Daniel chapitres 3 et 6; Actes chapitres 4–5; Exode 1.17, 20–21.
[14] En effet, on n’a pas à craindre les magistrats quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas avoir à craindre l’autorité ? Fais le bien et tu auras son approbation, car le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, sois dans la crainte. En effet, ce n’est pas pour rien qu’il porte l’épée, puisqu’il est serviteur de Dieu pour manifester sa colère en punissant celui qui fait le mal (Romains 13.3–4 S21).
[15] Glen H. Stassen & David P. Gushee, L’Éthique du royaume (Downers Grove. IVP Academic, 2003), 161.
[16] Actes 5.29.
[17] 1 Pierre 2.20.
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