Jésus—sa vie et son message : le Sermon sur la Montagne

Par Peter Amsterdam

août 24, 2017

[Judge Not]

Ne portez pas de jugement

Si nous allons au chapitre 7 de Matthieu, le dernier chapitre du Sermon sur la Montagne, nous lisons que Jésus dit à ses disciples de ne pas porter de jugement sur les autres. Il s’explique en disant :

Ne portez de jugement contre personne, afin que Dieu ne vous juge pas non plus. Car Dieu vous jugera comme vous jugez les autres ; Il vous mesurera avec la mesure que vous employez pour eux.[1]

Jésus met le doigt sur un trait négatif qui caractérise beaucoup de gens, y compris, malheureusement, de nombreux chrétiens – un trait qui les pousse à critiquer et porter un jugement sur les autres. Il nous demande de faire la distinction entre le discernement moral et la condamnation des autres. Le fait de connaître la différence entre le bien et le mal a pour conséquence naturelle de nous faire percevoir nos défauts et ceux des autres. Cependant, ici, l’accent est mis sur notre attitude envers les fautes et les péchés des autres. Il nous met en garde contre le fait de porter un jugement sévère sur les autres à cause de leurs erreurs et de leurs transgressions.

Le mot grec krino, traduit par juger, peut être traduit de diverses manières ; cela peut signifier discerner, juger sur un plan juridique, porter un jugement critique, ou condamner (judiciairement ou autrement). C’est le contexte dans lequel le mot est employé qui en précise le sens. Dans ce cas-ci, juger signifie porter un jugement, adopter une attitude de condamnation[2]. Nous retrouvons le même sens de ce verbe en Romains :

Et toi, pourquoi condamnes-tu ton frère ? Ou toi, pourquoi méprises-tu ton frère ? Ne devons-nous pas tous comparaître devant le tribunal de Dieu ? Car il est écrit : Aussi vrai que Je vis, dit le Seigneur, tout genou ploiera devant Moi et toute langue Me reconnaîtra comme Dieu. Ainsi chacun de nous rendra compte à Dieu pour lui-même. Cessons donc de nous condamner les uns les autres.[3]

Après cette mise en garde contre le fait de condamner les autres, Jésus déclare :

Car vous serez condamnés vous-mêmes de la manière dont vous aurez condamné, et on vous appliquera la mesure dont vous vous serez servis pour mesurer les autres.[4]

Ce verset peut être compris de deux façons : soit que les gens qui ont une attitude extrêmement critique subiront eux-mêmes les critiques des autres (ce qui est souvent le cas), soit que la mesure que nous aurons utilisée pour juger les autres sera celle dont Dieu lui-même se servira pour nous juger[5]. Il est probable que c’est la deuxième option qui est la bonne. L’apôtre Paul fait la même remarque :

Toi donc, qui que tu sois, qui condamnes ces comportements, tu n’as donc aucune excuse, car en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui les juges, tu te conduis comme eux. Or, nous savons que le jugement de Dieu contre ceux qui agissent ainsi est conforme à la vérité. T’imaginerais-tu, toi qui juges ceux qui commettent de tels actes, et qui te comportes comme eux, que tu vas échapper à la condamnation divine ?[6]

Certains commentateurs de la Bible emploient le terme de réprobation pour qualifier l’attitude critique dont Jésus parle ici. John Stott écrit :

La réprobation est un péché composé qui consiste en plusieurs ingrédients déplaisants. Elle ne contente pas de porter un regard critique sur les gens, mais elle les juge sévèrement. Le réprobateur est un accusateur négatif et destructeur envers les autres et il aime trouver des occasions de les blâmer. Il émet les pires hypothèses sur leurs motifs, déverse une douche froide sur leurs projets et ne fait preuve d’aucune indulgence envers leurs erreurs. Pire encore, l’accusateur réprobateur s’érige en censeur, et donc s’arroge l’autorité et la compétence de porter des jugements sur les autres.… Or aucun être humain n’est qualifié pour être le juge de son prochain, car nous ne pouvons pas lire dans les cœurs ni évaluer les motifs des uns et des autres. Etre sévèrement réprobateur c’est avoir l’arrogance de se croire habilité à anticiper le jour du jugement, à usurper les prérogatives de la justice divine, et à jouer le rôle réservé à Dieu.[7]

Comme chrétiens, nous sommes appelés à mettre un terme à notre attitude réprobatrice, à cesser de fermer les yeux sur nos propres fautes, à ne pas imposer aux autres une norme que nous ne pouvons pas nous-mêmes respecter.

Quand Jésus nous dit « ne condamnez pas », Il ne nous demande pas de fermer les yeux sur le mal et le péché. Nous sommes supposés reconnaître le péché, à la fois chez nous-mêmes et chez les autres. Toutefois, Jésus fait la distinction entre le discernement moral et la condamnation personnelle. Nous devons discerner entre le bien et le mal, le vrai et le faux, le péché et la droiture, mais ce n’est pas la même chose que condamner et juger les autres.

Jésus continue en insistant sur ce point précis au moyen d’une  illustration :

Et pourquoi vois-tu les grains de sciure dans l’œil de ton frère, alors que tu ne remarques pas la poutre qui est dans le tien ? Comment oses-tu dire à ton frère : « Laisse-moi enlever cette sciure de ton œil, alors qu’il y a une poutre dans le tien » ? Hypocrite ! Commence donc par retirer la poutre de ton œil, alors tu y verras assez clair pour ôter la sciure de l’œil de ton frère.[8]

Cette image humoristique illustre parfaitement son propos. Nous voyons naturellement les fautes des autres plus clairement que les nôtres. Nous nous empressons de juger les autres alors qu’en fait nos péchés et nos fautes sont souvent plus graves que les leurs. L’illustration de quelqu’un qui essaie de retirer une minuscule poussière de l’œil d’une personne alors qu’il a lui-même une poutre dans l’œil montre l’absurdité et l’inconvenance d’attirer l’attention sur les fautes et les péchés de quelqu’un d’autre, ou de nous considérer nous-mêmes comme habilités à dénoncer ces fautes, alors que, bien souvent, les nôtres sont plus graves.

On trouve un exemple de quelqu’un ayant une poutre dans l’œil et qui prononce un jugement dans une anecdote de la vie du roi David. David coucha avec Bath-Chéba, la femme d’Urie, un soldat de son armée ; lorsqu’elle tomba enceinte, David s’arrangea pour faire revenir Urie de la guerre à Jérusalem – dans l’espoir qu’il couche avec son épouse pour que le méfait de David reste caché. Quand Urie refusa par noblesse d’esprit de coucher avec sa femme parce que ses compagnons d’armes dormaient sous des tentes ou en rase campagne, David le renvoya au combat en s’arrangeant avec le chef de l’armée pour qu’il place Urie à l’endroit où les combats étaient les plus acharnés, afin qu’il se fasse tuer. Peu après la mort d’Urie, David épousa Bath-Chéba. Il était donc coupable d’adultère et de meurtre. Le Prophète Nathan vint vers David et lui raconta l’histoire d’un homme riche qui possédait un grand troupeau de brebis et d’un pauvre homme qui n’avait qu’une seule brebis – une bête qu’il aimait tellement qu’il la laissait manger dans son assiette et boire dans sa coupe ; elle était pour lui comme une fille. Un jour que l’homme riche recevait un visiteur, il ne voulut pas sacrifier l’une de ses bêtes pour la réception de son invité. Au lieu de cela, il prit la brebis du pauvre homme, et la tua pour préparer le repas. Lorsqu’il entendit ce rapport, David entra dans une violente colère et dit : « L’homme qui a fait cela mérite la mort ! » Nathan répliqua : « L’homme qui a fait cela, c’est toi ! »[9]

Nous pouvons être tout aussi aveugles que David. Nous pouvons fustiger les gens pour leurs péchés et les dénoncer haut et fort, tout en refusant de voir nos propres péchés. L’attitude contre laquelle Jésus nous met en garde est d’être  obnubilés par la poussière dans l’œil de nos frères et sœurs spirituels alors qu’une poutre de péché dépasse du nôtre. Nous ne sommes pas censés critiquer, accuser et dénigrer les autres, ni de nous arroger le droit de juger les autres.

Cela ne signifie pas que nous ne devons jamais porter de jugement quand quelqu’un fait quelque chose de mal. Jésus nous a dit d’ôter la poutre qui est dans notre œil, et à ce moment-là seulement pourrons-nous voir suffisamment clair pour retirer la poussière qui est dans l’œil de notre compagnon de foi. Si nous souhaitons aider un frère ou une sœur, nous devons d’abord nous occuper de nos propres poutres. Ce n’est qu’après avoir fait cela que nous serons en mesure d’apporter une aide spirituelle à quelqu’un d’autre. On ne nous dit pas de ne jamais corriger qui que ce soit, ni de ne jamais parler à qui que ce soit de leurs péchés, ni de nous abstenir de juger quelqu’un qui a dévié du droit chemin. Jésus disait qu’une fois que nous aurons retiré la poutre de notre œil, alors nous verrons assez clair pour ôter la sciure de l’œil de ton frère.

« Ne condamnez pas » ne veut pas dire que les chrétiens ne doivent jamais faire une quelconque évaluation morale des autres. On nous dit que si un frère pèche contre nous, nous devons lui en parler en tête-à-tête ; et s’il ne nous écoute pas, de revenir lui parler devant témoins. S’il refuse toujours d’écouter, de le dire à l’église; et s’il refuse encore, de le considérer comme un incroyant.[10] Jésus disait à ses disciples de se méfier des enseignements des scribes et des Pharisiens, mais Il disait aussi : Ne jugez pas d’après l'apparence, mais portez un jugement juste. »[11] L’apôtre Paul disait aux chrétiens : « Je vous engage instamment, chers frères, à prendre garde à ceux qui sèment la division et égarent les autres en s’opposant à l’enseignement que vous avez reçu. Eloignez-vous d’eux. »[12] Il s’agit bien là de jugements, mais de jugements fondés sur le discernement et la vérité. Donc quand Jésus disait « Ne jugez pas », Il nous disait de ne pas condamner les autres de façon intransigeante. Bien qu’on nous demande d’éviter de critiquer sévèrement, Jésus continue en disant quelque chose qui confirme que nous devons faire preuve de discernement et parfois porter un jugement.

Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens, de peur qu’ils ne se retournent contre vous et ne vous déchirent ; ne jetez pas vos perles devant les porcs, de peur qu’ils ne les piétinent. »[13]

De toute évidence, Jésus a porté des jugements sur les autres, mais Il l’a fait avec un cœur pur et pour de bons motifs. Il se rendait compte que tout le monde est différent et que nous devons faire preuve de discernement pour être capables de faire la distinction entre les bons et les mauvais motifs, entre les bons et les mauvais comportements. La mise en garde  contre le fait de juger les autres alors que nous avons une grosse poutre dans l’œil ne signifie pas que nous ne devons jamais juger, mais que nous devons avoir une juste appréciation émanant d’un cœur pur et humble, après avoir « retiré la poutre qui est dans notre œil. » Ne jugez pas d’après l'apparence, mais portez un jugement juste. »[14] Jésus a porté des jugements justes sur les gens : Il a appelé Hérode Antipas ce renard[15], et a qualifié les scribes hypocrites et les Pharisiens de tombeaux crépis de blanc[16] et de race de vipères.[17] Il a mis en garde contre les faux prophètes : Gardez-vous des faux prophètes ! Lorsqu’ils vous abordent, ils se donnent l’apparence d’agneaux mais, en réalité, ce sont des loups féroces.[18]

A notre époque, il n’est pas convenable de comparer les gens à des chiens ou à des porcs, mais dans la Palestine de l’époque de Jésus, ce terme imagé permettait de bien comprendre ce qui était dit. Une personne Juive ne donnerait jamais de nourriture offerte en sacrifice à Dieu, et par conséquent « sanctifiée », à un chien. Les chiens, à cette époque, n’étaient pas des animaux de compagnie comme c’est le cas aujourd’hui ; c’étaient des charognards féroces et dangereux. Les porcs étaient considérés comme des animaux impurs d’après les écritures Juives. Si par aventure, quelqu’un avait jeté des perles aux cochons, ceux-ci auraient probablement essayé de les mâcher, et les ayant trouvées immangeables, ils les auraient recrachées et les auraient piétinées dans la boue. Le texte original a probablement été formulé poétiquement (sous la forme d’un chiasme) pour dire aux auditeurs de l’époque que le cochon piétinerait les perles, et que le chien mordrait celui qui lui donnerait une nourriture sanctifiée.

A l’inverse de sa mise en garde de ne pas juger les autres quand on a soi-même une poutre dans l’œil, Jésus explique que l’on doit parfois juger en usant de discernement. Il va de soi que nous ne devons pas traiter ni qualifier les gens de cochons ou de chiens, car chaque personne est aimée et appréciée de Dieu ; mais nous pouvons appliquer le conseil selon lequel nous devons faire preuve de sagesse et de discernement lorsque nous partageons l’évangile avec les autres. Il peut y avoir des moments et des situations où il ne serait pas judicieux de partager l’évangile avec quelqu’un, quand la personne pourrait y être hostile. Ou peut-être que la méthode que vous employez habituellement pour témoigner ne fonctionnerait pas avec cette personne en particulier, et qu’elle rejetterait votre témoignage. Auquel cas, les perles, ce qui est sanctifié, les paroles de Dieu, seraient tournées en dérision ou méprisées.

S’il est vrai que nous ne devons pas condamner hâtivement, nous devons toutefois faire preuve de discernement. Dans le même ordre d’idée, nous devons être conscients que certaines personnes sont farouchement opposées à l’évangile, et qu’elles ne veulent pas en entendre parler ; et quand nous nous rendons compte qu’une personne à qui nous témoignons a ce type d’attitude, il vaut mieux en rester là. De plus, les gens sont tous différents, avec des personnalités, une vision du monde, et des origines culturelles différentes, donc nous devons faire preuve d’amour et de sagesse, et adapter la façon dont nous leur témoignons. S’il est vrai que nous cherchons à transmettre la même vérité de l’évangile à chacun, nous devons reconnaître la nécessité d’adapter notre façon de la partager avec eux, en sorte qu’il leur soit plus facile de la recevoir.

Comme nous approchons de la fin du Sermon, nous voyons que Jésus a dit clairement que c’était mal de critiquer et de juger sévèrement les autres. Il a déclaré sans ambiguïté que « nous ne devons pas condamner. » Nous sommes tous enclins à le faire, mais Il nous demande de tout faire pour nous débarrasser de cette mauvaise habitude. C.S. Lewis écrivait à juste titre :

Abstenez-vous complètement de penser aux fautes des autres personnes, à moins que vos responsabilités en tant qu’enseignant ou parent ne vous obligent à le faire. Quand ces pensées nous viennent de manière injustifiée à l’esprit, pourquoi ne pas tout simplement les repousser ? Et penser plutôt à nos propres fautes ? Car là-dessus, avec l’aide de Dieu, on peut faire quelque chose.[19]   


NB:

Sauf indication contraire, les passages bibliques cités sont extraits de la Sainte Bible, version du Semeur, copyright ©2000 par la Société Biblique Internationale. Les autres traductions citées sont La Bible en Français Courant (BFC) et La Segond 21 (SEG21). Tous droits réservés. Avec permission.


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[1] Matthieu 7.1–2 BFC.

[2] Carson, Jesus’ Sermon on the Mount and His Confrontation with the World [Le Sermon de Jésus sur la Montagne et sa confrontation avec le monde], 106.

[3] Romains 14.10–13

[4] Matthieu 7.2.

[5] Carson, Jesus’ Sermon on the Mount and His Confrontation with the World [Le Sermon de Jésus sur la Montagne et sa confrontation avec le monde], 107.

[6] Romains 2.1–3.

[7] Stott, The Message of the Sermon on the Mount [Le message du Sermon sur la Montagne], 176–77.

[8] Matthieu 7.3–5

[9] 2 Samuel 11–12.

[10] Matthieu 18.15–17.

[11] Jean 7.24 SEG21.

[12] Romains 16.17

[13] Matthieu 7.6 BFC.

[14] Jean 7.24 SEG21.

[15] Luc 13.31–32.

[16] Matthieu 23.27.

[17] Matthieu 23.33.

[18] Matthieu 7.15.

[19] C. S. Lewis, God in the Dock, chapter 18 [Dieu au banc des accusés, chapitre 18]. “The Trouble with ‘X’” [Le problème avec “X”] (San Francisco. Harper One Publishers, 2014).

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