Par Peter Amsterdam
mars 17, 2018
Les tentatives visant à définir théologiquement la personne de Jésus et ses natures humaine et divine ont eu lieu principalement à deux époques : tout d’abord aux IVe et Ve siècles, puis aux XIXe et XXe siècles.
Une fois que la doctrine de la Trinité eut été développée et officiellement adoptée, la théologie se consacra ensuite aux deux natures du Christ. (1) En tant que Dieu, Il avait une nature divine, et (2) étant né comme un homme, Il avait aussi une nature humaine. Comme nous l’avons vu, le Credo de Nicée affirme que Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme. Les questions qui en découlaient étaient : Comment la personne de Jésus de Nazareth pouvait-elle avoir deux natures et comment ces natures se conjuguaient-elles. Une nature était-elle dominante ? La nature divine prenait-elle le dessus sur la nature humaine ? Est-ce que les deux natures se combinaient en une seule ? Comment cela fonctionnait-il ?
Définitions inadéquates de la nature de Jésus
Aux quatrième et cinquième siècles, un certain nombre d’évêques et d’autres responsables ecclésiastiques proposèrent des modèles correspondant à leur opinion sur la question. Le problème était que ces modèles étaient inadéquats en ce sens qu’aucun ne parvenait à garder les natures divines et humaines séparées et intactes et/ou bien ils concluaient qu’il y avait deux personnes en Jésus.
Je présenterai brièvement les principaux modèles inadéquats. Il est bon de les connaître étant donné que cela fait partie de l’histoire du christianisme, et que cela peut nous aider à comprendre notre foi de façon plus approfondie. C’est surtout utile lorsqu’on doit répondre à des questions ou qu’on est confronté à des fausses doctrines. Les deux premiers modèles inadéquats, le docétisme et l’ébionisme, sont apparus très tôt, aux Ier et IIe siècles. Les autres sont apparus aux IVe et Ve siècles.
Le docétisme niait que Jésus puisse être humain. Les docétistes estimaient qu’un Dieu bon ne pouvait pas être uni à la chair mauvaise. Ils considéraient que la vie, la naissance, la souffrance et la mort de Jésus n’étaient qu’une illusion, un mirage dénué de réalité. Ce faisant, ils niaient la réalité de l’humanité de Jésus.
(Le docétisme a été réfuté par l’Apôtre Jean en 1 Jean 4.2-3 : « Voici comment savoir s’il s’agit de l’Esprit de Dieu : tout esprit qui reconnaît que Jésus-Christ est devenu véritablement un homme, vient de Dieu. Tout esprit, au contraire, qui ne reconnaît pas ce Jésus-là ne vient pas de Dieu. C’est là l’esprit de « l’anti-Christ » dont vous avez entendu annoncer la venue. Eh bien, dès à présent, cet esprit est dans le monde. » Et en 2 Jean 7 : « Un grand nombre de personnes qui entraînent les autres dans l’erreur se sont répandues à travers le monde. Ils ne reconnaissent pas que Jésus-Christ est devenu véritablement un homme. Celui qui parle ainsi est trompeur, c’est l’anti-Christ. »)
L'ébionisme est dérivé d'une forme de christianisme fondée sur le Judaïsme. Parce qu’ils ne pouvaient pas réconcilier le fait que Jésus soit Dieu avec le monothéisme judaïque, les ébionites affirmaient l’humanité de Jésus, mais niaient sa divinité. Ils disaient qu’Il était un homme qui, par sa stricte obéissance à la loi, était devenu le Messie et le Fils de Dieu au moment de son baptême par Jean-Baptiste.
L’arianisme : Comme nous l’avons vu dans un article précédent, Arius considérait le Logos, le fils de Dieu, comme une création de Dieu et donc pas comme Dieu ; par conséquent il niait la divinité de Jésus.
L’apollinarisme : Apollinaire, évêque de Laodicée vers 361, enseignait que la personne du Christ avait un corps humain et une âme humaine (animale), mais pas une âme ou un esprit rationnel humain. Au contraire, l’âme ou l’esprit rationnel qui L’habitait était celle du Logos, Dieu le Fils. Si tel était le cas, Jésus n’était pas complètement humain, puisqu’Il n’avait pas un esprit humain, mais seulement un corps humain. Comme on l’a expliqué dans l'article précédent, Jésus devait être pleinement humain pour être l’instrument du salut et racheter l’homme. Un des arguments utilisés contre l’apollinarisme était que « ce qu’Il n’a pas assumé, Il ne l’a pas guéri ». Dans le Salut, non seulement le corps humain doit être représenté par Jésus, mais aussi le mental/l’esprit humain.
Le nestorianisme : Nestorius devint évêque de Constantinople en 428. La doctrine attachée à son nom est que le Christ était virtuellement deux personnes dans un même corps, au lieu d’une seule personne. Il soutenait qu’il n’y avait pas de véritable union entre le Logos et l’homme, mais plutôt une sorte de cohabitation. Toutefois cela ne cadre pas avec la description que le Nouveau Testament donne de Jésus. Sa nature humaine n’y apparait pas comme séparée de sa nature divine. Il n’y a pas de relation personnelle distincte entre sa nature humaine et sa nature divine. Aucune relation entre un « je » et un « tu » n’est manifeste, comme c’est le cas entre les différentes personnes dans la Trinité. Les auteurs des Évangiles ne disent pas que la nature humaine de Jésus a fait ceci ou que sa nature divine a fait cela. Jésus est toujours présenté comme une seule personne, pas deux personnes.
Le monophysisme (également connu sous le nom d’eutychianisme) : Dans son argumentation contre le nestorianisme, Eutychès (vers 378-454) enseignait que la nature humaine de Jésus avait été absorbée dans sa nature divine et que, par conséquent, Il n’avait qu’une seule nature. Il en résultait que la nature de Jésus était une combinaison des natures humaine et divine, c’est-à-dire un troisième type de nature, ni humaine ni divine. Ce fut considéré comme une confusion ou un amalgame des natures.
Réalité des natures de Jésus
Il est important de bien comprendre que Jésus avait deux natures : divine et humaine. Mais l’une n’a pas absorbé l'autre, et on ne peut pas les confondre. Bien qu’il y eût deux natures en Jésus, il n’y avait qu’une seule personne. Les natures n’existaient pas séparément à l’intérieur de Jésus, ce qui aurait fait de Jésus deux personnes dans un même corps, mais plutôt tout découlait d’une seule personne centrale. Les deux natures étaient réunies en Jésus, de sorte qu’Il n’était pas Dieu et homme, mais Dieu-homme, une seule personne.[1]
William Lane Craig offre une brève explication sur ce point : « Qu’est-ce que cela signifie exactement de dire que le Christ subsiste en deux natures ? Cela signifie que le Christ est essentiellement une personne divine qui a assumé dans l’incarnation une âme et un corps rationnels tels qu’ils sont essentiels aux êtres humains. Il est tout ce qu’il faut être pour être Dieu et tout ce qu’il faut être pour être un homme. »[2]
Nous aurons beau essayer de comprendre comment les deux natures fonctionnent en Jésus, il est impossible de le comprendre pleinement. Nous pouvons connaître et comprendre le concept, comme nous le faisons pour la Trinité, mais le fonctionnement demeure incompréhensible. Jésus est la seule personne qui ait jamais été Dieu Incarné, l’homme-Dieu. Il n’y a donc rien de comparable dans notre expérience humaine, et il n’y aucun moyen de le comprendre pleinement.
La conception de Jésus a permis « l’incarnation » de Dieu. Marie, sa mère, a conçu sans qu’aucun homme ne participe à cette conception. Elle était vierge, fiancée mais pas encore mariée à Joseph. C'est par la puissance du Saint-Esprit que Marie est tombée enceinte.
Le Saint-Esprit viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint enfant qui naîtra sera appelé Fils de Dieu.[3]
Jésus est le seul homme qui ait jamais été conçu sans avoir un père biologique. Il n'est donc pas surprenant qu’Il soit le seul à être ainsi pleinement homme et pleinement Dieu, avec deux natures, l’une divine, l’autre humaine. Sa conception virginale est à la fois le signe de sa divinité et de son incarnation en tant qu’homme.
Je voudrais ajouter ici une précision au sujet de Marie. Elle est appelée « la mère de Dieu », d’après le grec Theotokos. On l’a appelée ainsi pour montrer clairement que dès le moment de sa conception le Christ était Dieu, ce qui faisait d’elle la mère de Dieu. Cependant, cela ne signifiait pas qu’elle avait enfanté le Logos éternel, Dieu le Fils, puisque le Fils existait de toute éternité avant sa conception dans le sein de Marie. Marie était donc la mère de Dieu selon sa nature humaine, en tant qu’homme.
Comme l’explique William Lane Craig, « La doctrine chrétienne de l’Incarnation affirme que Jésus-Christ est Dieu incarné. Jésus était donc vraiment Dieu, et vraiment homme. Il est né de la Vierge Marie, ce qui veut dire que la conception de Jésus était surnaturelle, mais sa naissance était parfaitement naturelle. Puisque Jésus était Dieu incarné, sa mère, Marie, est donc appelée « Mère de Dieu » ou « Porteuse de Dieu » dans les professions de foi du christianisme primitif. Cela ne veut pas dire que Dieu est venu en quelque sorte à l’existence à la suite de sa conception par Marie ou que Marie a procréé Dieu. Mais plutôt, on pourrait dire que Marie a été la porteuse de Dieu puisque la personne qu’elle a portée dans son sein et à laquelle elle a donné naissance était divine. En ce sens, la naissance de Jésus fut la naissance de Dieu.[4]
Concile de Chalcédoine et le règlement de la question
En 451, un concile œcuménique fut convoqué par l’empereur Marcien à Chalcédoine (aujourd'hui en Turquie) pour régler la question des natures divine et humaine de Jésus. Plus de 500 évêques se réunirent à l’occasion de ce concile qui trancha la question. Le Concile fixa les paramètres à l’intérieur desquels la spéculation théologique sur la question des deux natures de Jésus devait se dérouler. Le concile ne tenta pas de résoudre la question du fonctionnement de l’incarnation, ni de sa possibilité, mais définit ce qui pouvait et ne pouvait pas être dit, en fixant les limites à l’intérieur desquelles on pouvait en débattre.
Le concile affirma que :
En bref, on ne doit pas fusionner les natures ni diviser la personne. Il y a deux natures mais une seule personne en Christ.
La plupart des théologiens, pour illustrer les limites à respecter lors de toute réflexion théologique sur cette question, utilisent l’analogie de la navigation entre deux écueils majeurs – d’un côté deux natures, de l’autre une personne. Tant qu’on navigue entre les deux, on est en sécurité théologiquement.
Le Concile ne publia pas une nouvelle profession de foi (il n’y eut pas de nouvelle profession de foi après celle du concile de Nicée-Constantinople), mais plutôt une définition de la foi qui rejetait l’apollinarisme, le nestorianisme et le monophysisme. Voici la définition adoptée par le concile de Chalcédoine (les mots entre parenthèses sont les miens aux fins d’explication) :
« Suivant donc les saints pères, nous enseignons unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité [contre l’apollinarisme], le même vraiment Dieu et vraiment homme composé d’une âme raisonnable [rationnelle] et d’un corps, consubstantiel [ayant la même substance] au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous [pleinement humain] sauf le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité [existant éternellement en tant que Dieu], et aux derniers jours le même engendré pour nous et notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité [établissant qu’elle n’est pas mère de la nature divine mais seulement de la nature humaine], Un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union [contre le monophysisme], la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt gardée et concourant à une seule Personne et une seule Substance, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes [contre le nestorianisme], mais un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus Christ, selon que depuis longtemps les prophètes l’ont enseigné de Lui, que Jésus Christ lui-même nous l’a enseigné, et que le Symbole des pères nous l’a transmis. »
Dans les siècles qui suivirent le Concile de Chalcédoine, une doctrine appelée monothélisme apparut. Cette doctrine soutenait que, bien que le Christ soit une seule personne ayant deux natures – respectant en cela la profession de Chalcédoine –, il n’y avait qu’une seule volonté divine-humaine, donc deux natures mais une seule volonté en Jésus. Certains y virent un rejet de la définition du concile de Chalcédoine.
Lors du troisième Concile de Constantinople, en 681 après J.-C., les chefs de l'Église établirent qu’il y avait deux volontés dans le Christ. Les volontés appartiennent aux deux natures distinctes du Christ, et non à la personne. La doctrine des deux volontés fut généralement, mais pas universellement, adoptée au sein de l'Église.
Ce fut le dernier débat de l’Eglise des premiers siècles sur le sujet. Au cours des siècles qui suivirent, notamment aux dix-neuvième et vingtième siècles, la question fut à nouveau soulevée, et c’est ce que nous examinerons dans le prochain article.
Note
Les passages bibliques cités sont extraits de la Sainte Bible, version Segond 21, copyright © 2007 par la Société Biblique de Genève. Tous droits réservés. Avec permission. L’autre version citée est la Bible du Semeur (BDS).
Bibliographie
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Williams, J. Rodman. Renewal Theology, Systematic Theology from a Charismatic Perspective (Théologie du renouveau, théologie systématique d'un point de vue charismatique).Grand Rapids : Zondervan, 1996.
[1] Williams, J. Rodman. Renewal Theology, Systematic Theology from a Charismatic Perspective (Théologie du renouveau, théologie systématique d’un point de vue charismatique).Grand Rapids : Zondervan, 1996.(pages 343et 344)
[2] William Lane Craig, Fictionalism and the Two Natures of Christ, (Le Fictionnalisme et les deux natures du Christ),2007.
[3] Luc 1:35.
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