Les histoires racontées par Jésus : le bon Samaritain, Luc 10.25-37

Par Peter Amsterdam

avril 23, 2018

 [The Stories Jesus Told: The Good Samaritan]

La plupart d’entre nous connaissent la parabole du bon Samaritain. Mais du fait que nous vivons dans des cultures très différentes de celle de la Palestine du 1er siècle, nous ne comprenons sans doute pas certains aspects de l’histoire. Lorsque nous entendons ou lisons cette parabole, elle ne nous choque pas et elle ne remet pas en cause le statu quo du monde d’aujourd'hui. Pourtant, les auditeurs du 1er siècle qui écoutaient Jésus raconter cette parabole auraient été consternés. Le message était contraire à leur attente et remettait en cause leurs modèles culturels.

La parabole met en scène plusieurs personnages, et un supplément d’informations sur les prêtres, les lévites et les samaritains nous aidera à mieux comprendre le rôle que chacun d’eux joue dans l'histoire.

Faisons connaissance avec les personnages dans leur ordre d’apparition.

L’homme roué de coups

La parabole ne nous dit pas grand-chose sur le premier personnage, l’homme qui a été roué de coups et volé, mais elle nous communique un détail essentiel de l’histoire. Il a été dépouillé de ses vêtements et est à moitié mort. Il a été roué de coups, et est allongé par terre, inconscient.[1]

C’est important parce que les gens du premier siècle étaient facilement identifiables par le style de vêtements qu’ils portaient et par la langue qu’ils parlaient et leur accent. Du temps de Jésus, le Moyen-Orient étaient gouverné par les Romains qui parlaient latin. La région était hellénisée, c’est-à-dire qu’elle était fortement influencée par tout ce qui venait des Grecs. Il y avait beaucoup de villes grecques, et le grec était largement en usage. Les érudits juifs parlaient l’hébreu, tandis que les paysans juifs et la population ordinaire de la région parlaient l’araméen. Donc quand on entendait quelqu’un parler, on pouvait facilement les identifier.

Comme l’homme battu n’avait plus de vêtements, il était impossible de deviner sa nationalité. Le fait qu’il soit inconscient et incapable de parler ne permettait pas de l’identifier ou de savoir d’où il venait. Nous verrons que c’est un des éléments clé de la parabole.

Le prêtre

Le second protagoniste de l’histoire est le prêtre. Dans l’Israël antique, les prêtres juifs étaient le clergé qui officiait dans le temple de Jérusalem. Il existait toute une hiérarchie au sein du sacerdoce, avec au sommet, le grand prêtre suivi des principaux sacrificateurs. Le capitaine du temple était le principal sacrificateur ; il avait sous ses ordres les prêtres qui servaient comme trésoriers du temple, les surveillants du temple et les prêtres qui supervisaient les prêtres ordinaires.

Les prêtres ordinaires étaient ceux qui servaient dans le temple pendant une semaine sur une période de 24 semaines ; ce qui signifie que chaque année, chacun des prêtres servait deux fois dans le temple, pendant une semaine à chaque fois. La plupart d’entre eux officiaient également pendant les trois fêtes principales de l’année ; c’est ainsi que certains prêtres ordinaires servaient dans le temple pendant cinq semaines de l’année.

On évalue à environ 7 200 le nombre des prêtres dans tout Israël à l’époque, tous descendants de la tribu de Lévi, et dont l’origine remontait à Aaron, le frère de Moïse.

Les prêtres ne vivaient pas tous à Jérusalem; beaucoup d’entre eux vivaient dans la ville voisine de Jéricho ou dans d’autres villes un peu partout en Israël. Par conséquent, les prêtres qui ne vivaient pas à Jérusalem devaient s’y rendre entre deux et cinq fois par an.

Les prêtres étaient généralement considérés comme faisant partie de la classe moyenne, toutefois beaucoup d’entre eux appartenaient à une classe supérieure. Certains d’entre eux étaient très riches et étaient considérés comme étant l’aristocratie du pays. D’un autre côté, certains prêtres étaient pauvres. Beaucoup de prêtres travaillaient à divers métiers, ou comme scribes, pendant la plus grande partie de l’année lorsqu’ils n'étaient pas de service au temple.

La parabole ne donne aucun détail sur le prêtre de cette histoire, mais ceux qui écoutaient la parabole de Jésus auraient probablement supposé qu’il retournait chez lui à Jéricho à l’issue de sa semaine de service dans le temple.[2]

Le lévite                                                                    

Le troisième personnage de l’histoire est le lévite. Si tous les prêtres étaient des lévites, tous les lévites n’étaient pas prêtres. Néanmoins, les lévites qui n’étaient pas prêtres jouaient un rôle important dans le temple. Ils étaient considérés comme un clergé mineur, d’un rang inférieur à celui des prêtres. Comme les prêtres, ils servaient également pendant deux semaines à deux périodes différentes de l'année. On estime à 9 600 le nombre de lévites qui servaient dans le temple au cours de l’année.

Quatre lévites occupaient des postes permanents au service du temple : le directeur de la musique, le chef des chanteurs, le gardien en chef de la porte, et le haut fonctionnaire qui supervisait les lévites au service du temple.

Certains lévites étaient des chanteurs et des musiciens. D’autres étaient des serviteurs du temple qui avaient la responsabilité de nettoyer et d’entretenir le temple, et d’aider les prêtres à revêtir et enlever leurs vêtements sacerdotaux. La police du temple était également composée de lévites. Ils montaient la garde aux portes du temple et dans la cour des gentils, ainsi qu’à l’extérieur des lieux où seuls les prêtres étaient autorisés à entrer. Ils procédaient également à des arrestations et infligeaient les peines que le sanhédrin, le tribunal Juif de l’époque, leur commandait d’appliquer.

On aurait supposé que le Lévite sur la route de Jéricho revenait lui aussi d’une de ses semaines de service au temple de Jérusalem.[3]

Le Samaritain

Les Samaritains étaient un peuple qui vivait dans la région montagneuse de Samarie, située entre la Galilée au nord et la Judée au sud. Ils croyaient aux cinq premiers livres de Moïse, mais croyaient que Dieu avait choisi le mont Garizim comme le lieu où l’on devait L’adorer, au lieu de Jérusalem.

En 128 avant J.-C., le temple samaritain sur le mont Garizim fut détruit par l’armée juive. Entre l’an 6 et l’an 7 de notre ère, des Samaritains dispersèrent des ossements humains dans le temple juif pour le souiller. Ces deux événements jouèrent un rôle important dans la profonde animosité qui existait entre les Juifs et les Samaritains.

Cette animosité est évidente dans le Nouveau Testament. Quand les Juifs de Galilée voyageaient vers le sud pour se rendre à Jérusalem, ils s’y rendaient souvent par le plus long chemin, en faisant le tour pour ne pas traverser la Samarie. Ce qui ajoutait 40 kilomètres à leur trajet, soit deux ou trois jours de voyage supplémentaires. Sur cette route il faisait beaucoup plus chaud, et la pente qui montait de Jéricho à Jérusalem était assez raide, mais beaucoup de Juifs estimaient que cela en valait la peine pour éviter tout contact avec les Samaritains.

Un jour que Jésus allait de Galilée à Jérusalem en passant par la Samarie, les Samaritains refusèrent de L’héberger, sachant qu’Il se rendait au temple de Jérusalem. C’est un exemple de la rancœur et de l’hostilité qu’ils éprouvaient à l’égard des Juifs et de leur temple. Au cours de ce même incident, l’amertume des Juifs à l'égard des Samaritains se manifesta quand les disciples de Jésus, outrés d’apprendre que les Samaritains avaient refusé d’héberger Jésus, demandèrent au Seigneur s’ils devaient appeler le feu du ciel pour les consumer.[4]

Les Juifs traitaient parfois d’autres Juifs de « Samaritains » pour les insulter, comme ils le firent la fois où ils dirent à Jésus : « Nous avions bien raison de le dire : tu n’es qu’un Samaritain, tu as un démon en toi.[5]

C’est dans ce contexte d’animosité culturelle, raciale et religieuse que Jésus raconte la parabole du bon Samaritain.[6]

L’enseignant de la loi

Notre dernier personnage est l’enseignant de la loi. Bien que l’enseignant de la loi ne fasse pas partie de la parabole, c’est pour répondre à sa question que Jésus raconte la parabole. Sans ce dialogue entre Jésus et l’enseignant de la loi, la parabole sortirait de son contexte d’origine et certains éléments significatifs en seraient absents.

A l’époque du Nouveau Testament, un enseignant de la loi était la même chose qu’un scribe. C’étaient des spécialistes en droit religieux, qui interprétaient et enseignaient les lois de Moïse. Ils examinaient les questions difficiles et subtiles de la loi et donnaient des avis. Ils étaient très estimés en raison de leurs connaissances. En signe de respect, les gens se tenaient debout quand ils s’adressaient à eux pour leur poser une question.

Ces enseignants entraient souvent dans des débats et des discussions avec d’autres enseignants et rabbins portant sur l’interprétation et la compréhension des Écritures. Le motif de cet enseignant de la loi quand il posa ces questions à Jésus aurait pu être de vouloir entamer un tel débat. Ce peut-être aussi parce qu’il était en quête de vérité spirituelle.

La Parabole

Maintenant que nous connaissons la distribution des personnages, voyons ce qui s’est passé au juste quand l’enseignant de la loi a interrogé Jésus en Luc chapitre 10, verset 25.

Un enseignant de la Loi se leva et posa une question à Jésus pour Lui tendre un piège : « Maître, dit-il, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? »

L’enseignant se leva pour s’adresser à Jésus et L’appela « Maître ». Dans d’autres passages de l’Evangile, Jésus est appelé « Rabbi », qui est le titre utilisé pour s’adresser à un maître religieux. L’enseignant de la loi reconnaît que Jésus est un maître, et il le montre non seulement en s’adressant à Lui par ce titre, mais en se levant au moment de Lui poser sa question.

La question de savoir comment obtenir la vie éternelle était débattue par les spécialistes juifs du premier siècle, l’accent étant mis sur le respect de la loi comme moyen d’obtenir la vie éternelle. Il est possible que l’enseignant de la loi cherchait à prouver que Jésus niait qu’il fallait suivre les lois de Moïse.[7]

Jésus lui répondit : « Qu’est-il écrit dans notre Loi ? Comment la comprends-tu ? » Il [l’enseignant de la Loi] Lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton énergie et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. »[8]

Comme on l’a vu tout au long des évangiles, c’était exactement ce que Jésus enseignait, et il se peut que l’enseignant ait entendu Jésus le dire auparavant. Ce passage est tiré de deux versets : Lévitique 19.18 et Deutéronome 6.5.

Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les membres de ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Eternel.[9]

Tu aimeras l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.[10]

Jésus dit à l’enseignant de la loi qu’il avait raison, qu’il devait faire ces choses. Il devait s’employer à aimer Dieu de toutes ses forces, et à aimer son prochain.

Dans sa question suivante, l’enseignant cherche à savoir ce qu’il faut faire pour être justifié devant Dieu. Être justifié signifie avoir la faveur de Dieu, obtenir le salut. Il veut savoir ce qu’il doit faire, ce qui fonctionne, quels actes il doit faire pour se justifier, c'est-à-dire pour mériter le salut.

Mais l’enseignant de la Loi, voulant se donner raison, reprit : « Oui, mais qui donc est mon prochain ? »[11]

L’enseignant de la loi comprend qu’il peut aimer Dieu en observant la loi, mais « aimer son prochain » est un concept plutôt vague et flou. Il veut donc savoir qui est son prochain, qui sont les gens qu’il doit aimer. Il sait que son prochain comprend « les membres de ton peuple », comme l’indique le verset de Lévitique, et donc que cela inclut ses coreligionnaires juifs. Mais qui d’autre ? Les non-juifs n’étaient pas considérés comme des prochains, bien que Lévitique 19.33-34 dise clairement :

Si un étranger vient s’installer dans votre pays,…. Traitez-le comme s’il était l’un des vôtres. Tu l’aimeras comme toi-même …[12]

On peut donc affirmer qu’au cas où un étranger vivait dans la ville de l’enseignant de la loi, il serait lui aussi son prochain. Donc logiquement, les prochains de l’enseignant seraient ses compagnons juifs et tout étranger vivant dans sa ville. Tous les autres ne seraient pas ses prochains, en particulier les Samaritains détestés des Juifs.

C’est donc pour répondre à la question « Qui est mon prochain » – autrement dit, « qui suis-je tenu d'aimer » – que Jésus raconte la parabole.

En réponse, Jésus lui dit : « Il y avait un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, quand il fut attaqué par des brigands. Ils lui arrachèrent ses vêtements, le rouèrent de coups et s’en allèrent, le laissant à moitié mort. »[13]

La distance de Jérusalem à Jéricho était d’environ 27 kilomètres, tout en descente, avec une dénivellation qui passait de 800 mètres de hauteur au départ de Jérusalem, à 240 mètres au-dessous du niveau de la mer à Jéricho, sur une route qui était notoirement dangereuse en raison de la présence de voleurs. Au Moyen-Orient les voleurs étaient connus pour rouer de coups les victimes qui leur résistaient, et il est possible que l’homme en question ait opposé une résistance, puisqu’il avait été battu, dépouillé de ses vêtements, et laissé inconscient et à demi mort au bord de la route. A demi-mort est l’équivalent de ce que les rabbis appelaient « aux portes de la mort » c’est-à-dire sur le point de mourir. Bien qu’il ait été impossible de deviner la nationalité de l'homme, dans le contexte et la suite de l’histoire, les auditeurs originaux auraient probablement supposé que l’homme à demi-mort était Juif.[14]

Or il se trouva qu’un prêtre descendait par le même chemin. Il vit le blessé et, s’en écartant, poursuivit sa route.[15]

Il est probable que le prêtre revenait d’une de ses semaines de service au temple. En raison de son statut, il voyageait très probablement à dos d’âne, et donc il aurait pu transporter l’homme blessé jusqu’à Jéricho. Le problème, c'est qu’il ne savait pas qui était cet homme, ni quelle était sa nationalité, puisqu’il était inconscient et nu. Le prêtre avait le devoir, en vertu de la loi mosaïque, de porter assistance à un autre juif, mais pas à un étranger, et dans les circonstances présentes, il n’avait aucun moyen de savoir qui était l’homme blessé.

De plus, le prêtre ne savait pas si l’homme était encore vivant, et d’après la loi, le fait de s’approcher ou de toucher un cadavre l’aurait rendu impur rituellement. S’il s'approchait à moins de deux mètres et que l'homme était mort, dans ce cas le prêtre aurait été souillé et il lui aurait fallu observer une semaine de rituels religieux et sacrifier un animal pour se purifier. Pendant ce temps, il ne pourrait pas percevoir ses dîmes ni récolter la nourriture qu’on lui donnerait en tant que dîme, et sa famille et ses serviteurs ne pourraient pas le faire non plus.[16]

Si l’homme inconscient était vivant et que le prêtre le touchait, mais que l’homme venait à mourir peu après, le prêtre devrait déchirer ses vêtements, ce qui signifiait qu’il devrait en acheter des neufs pour les remplacer. Donc, le fait de porter assistance à cet homme impossible à identifier aurait coûté cher au prêtre. A la fin, il décida, pour une raison qui n’est pas précisée, de passer son chemin en restant de l’autre côté de la route pour s’assurer qu’il gardait la distance réglementaire entre lui et le blessé.

Lisons la suite de la parabole :

De même aussi un lévite arriva au même endroit, le vit, et, s’en écartant, poursuivit sa route.[17]

Le Lévite, qui rentrait probablement chez lui après sa semaine de service au temple, fait la même chose que le prêtre. Il décide de ne pas lui venir en aide.

Le Lévite se serait très probablement rendu compte que le prêtre était passé près de l'homme blessé. Différents auteurs soulignent que les contours de la route de Jérusalem à Jéricho permettent de voir très loin devant soi. Kenneth E. Bailey a écrit :

Les traces de l'ancienne route romaine sont encore visibles et l'auteur l’a personnellement parcouru sur presque toute sa longueur. On peut voir la route très loin devant soi sur la plus grande partie du parcours. Il est donc probable que lorsqu’il [le Lévite] arriva à hauteur de l’homme sur la route, il savait que le prêtre avait vu l’homme plus tôt et qu’il s’était écarté pour poursuivre sa route.[18]

Le lévite, d’un statut social inférieur à celui du prêtre, voyageait sans doute à pied. Même s’il n’avait pas été en mesure de l’emmener où que ce soit, il aurait pu lui administrer des premiers soins, étant donné qu’il n'était pas soumis aux mêmes lois de pureté que le prêtre. Alors qu’il était tenu de rester pur pendant toute sa semaine de service au temple, à ce moment-là il n’était plus sous le coup de la même obligation. D’après la formulation de la parabole, il est possible qu’il se soit approché de l’homme. Alors que le prêtre avait vu et passé son chemin, le lévite « arriva au même endroit, le vit, et, s’en écartant, poursuivit sa route. »

Aucun motif ne nous est donné pour expliquer qu’il passa son chemin sans rien faire, mais il est possible qu’en voyant que le prêtre, qui connaissait mieux que lui les lois et les obligations religieuses, n’avait rien fait, il se soit dit qu’il était préférable qu’il ne fasse rien, lui non plus. Dans le cas contraire, son acte aurait pu être interprété comme une critique de la compréhension de la loi par le prêtre et cela aurait pu être interprété comme une insulte envers le prêtre.[19]

Une autre raison de ne pas lui venir en aide aurait pu être qu’il craignait pour sa propre sécurité. Les bandits se trouvaient peut-être encore dans les environs, et s’il s’arrêtait pour aider le mourant, il risquait de se retrouver dans la même situation. Quel qu’ait pu être son raisonnement, le lévite, la deuxième personne en provenance du temple, arriva, le vit, et passa son chemin sans rien faire.

À ce stade de l’histoire, les auditeurs originaux se seraient attendus à ce que la personne qui arrive ensuite soit un Juif laïc. Cela aurait été parfaitement logique, étant donné que les personnages de l’histoire apparaissent suivant un ordre décroissant de leur statut religieux : un prêtre, un lévite, …. un laïc. [20] Or,  Jésus est allé bien au-delà de ce que l’on pouvait attendre dans la suite de son histoire. Le troisième personnage à entrer en scène est un de ces Samaritains haï des Juifs, un ennemi. Et, ce qui n’est pas fait pour arranger les choses, Jésus se met à raconter dans le détail tout ce que le Samaritain fait pour l’homme mourant, c’est-à-dire tout ce qu’auraient dû faire le prêtre et le lévite qui servaient tous les deux dans le temple.[21]

Mais un Samaritain qui passait par là arriva près de cet homme. En le voyant, il fut pris de pitié. Il s’approcha de lui, soigna ses plaies avec de l’huile et du vin, et les recouvrit de pansements. Puis, le chargeant sur sa propre mule, il l’emmena dans une auberge où il le soigna de son mieux.[22]

Le Samaritain, sans doute un marchand transportant du vin et de l’huile à dos d’un animal, probablement un âne, a de la compassion pour l’homme blessé. Il commence par panser ses blessures. Et de quoi se sert-il pour faire cela ? Il n'est pas l’ambulancier local, il n’a pas de trousse de premiers secours sur lui. Peut-être qu’étant marchand, il transporte du tissu. Peut-être enlève-t-il sa tunique de lin, qu’il porte comme sous-vêtement, ou bien peut-être enlève-t-il le turban dont il est coiffé pour en faire un bandage. Puis Il verse du vin et de l’huile sur les plaies du blessé pour les nettoyer et les désinfecter, pour le guérir.

Ensuite, il soulève l’homme, il l’installe sur son animal, et l’emmène dans une auberge, probablement à Jéricho. Le prêtre aurait pu l’emmener à Jéricho pour qu’il reçoive des soins. Le Lévite aurait pu au moins lui prodiguer des premiers soins. Mais c’est le Samaritain qui fait ce que ni le prêtre, ni le Lévite, n’ont daigné faire.

Le Samaritain emmène le blessé dans une auberge et s’occupe de lui. Si, comme on l’a supposé, l’homme blessé est un Juif, le Samaritain aurait pu courir un grand danger en arrivant en ville avec un Juif mourant sur son âne : les parents de l’homme roué de coups auraient pu accuser le Samaritain d’être responsable de ce qui lui était arrivé et ils auraient peut-être voulu se venger. Pour sa propre sécurité, il aurait sans doute été plus sage de laisser l’homme près de la ville ou aux portes de la ville ; pourtant il l’emmène jusqu’à l'auberge et passe la nuit à s’occuper de lui. Et ce n’est pas tout !

Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, les remit à l’aubergiste et lui dit : « Prends soin de cet homme, et tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai moi-même quand je repasserai. ».[23]

Deux deniers représentaient l’équivalent de deux jours du salaire d’un ouvrier. En laissant de l’argent à l'aubergiste, il avait la garantie que l’homme recevrait les soins dont il avait besoin durant sa convalescence. Si l’aubergiste devait dépenser plus que cette somme pour aider l’homme à se rétablir, le Samaritain s’engageait à le payer lors de sa prochaine visite. Faute de quoi, le blessé aurait accumulé des dettes pour le logement, les soins et la nourriture ; et à cette époque, lorsqu’un homme ne pouvait pas payer ses dettes, il risquait de se retrouver en prison. La promesse du Samaritain de revenir pour rembourser d’éventuelles dépenses supplémentaires assurait la sécurité et la continuité des soins de l’homme battu.

Il est fort probable que le Samaritain faisait régulièrement des affaires à Jérusalem et qu’il passait souvent par Jéricho pour s’y rendre. Et s’il était un client habituel de l'auberge, il est logique que l’aubergiste ait accepté sa promesse de revenir à l’auberge pour rembourser d’éventuelles dépenses supplémentaires.

Une fois l’histoire terminée, Jésus demande à l’enseignant de la loi :

« A ton avis, lequel des trois s’est montré le prochain de l’homme qui avait été victime des brigands ? C’est celui qui a eu pitié de lui, lui répondit l’enseignant de la Loi. Eh bien, va, et agis de même, lui dit Jésus. »[24]

La question posée par l’enseignant de la loi était : « Qui donc est mon prochain? » Jésus ne répond pas directement à la question de l’enseignant de la loi. Au lieu de cela, il raconte une histoire, puis Il demande à l’enseignant de la loi qui s’est comporté en prochain de la victime. L’enseignant de la loi voulait une réponse catégorique et bien tranchée, du genre : « ton prochain est ton compatriote juif, ainsi que celui qui s’est converti au judaïsme, et l’étranger qui vit parmi vous. » Si l’enseignant de la loi disposait d’une telle liste, il saurait qui il est tenu d’aimer en vertu de la loi. Mais la parabole racontée par Jésus montrait qu’il n’y a pas de liste limitant les personnes que l’on est tenu d’aimer ou que l’on doit considérer comme son prochain. Jésus définit « votre prochain » comme toutes les personnes qui sont dans le besoin et que Dieu met sur votre chemin.

D’un point de vue « légal », l’homme qui avait été battu et laissé pour mort pouvait être ou ne pas être le prochain du prêtre et du lévite ; c’était impossible à déterminer. Mais ces hommes religieux étaient davantage préoccupés par la loi, le devoir et le rituel religieux que soucieux de faire preuve de compassion et de bonté. Ceux qui servaient dans le temple, et dont les auditeurs originaux auraient pensé qu’ils feraient preuve de compassion, furent très décevants. Par contre, le Samaritain, que les auditeurs ne s’attendaient nullement à voir apparaître dans l’histoire, était celui qui fit preuve de compassion. Non seulement il avait de la compassion qui le poussait à venir en aide aux autres, mais sa compassion l’avait poussé à agir. Et ça lui avait coûté quelque chose.

Le Samaritain prit le risque de s’arrêter pour s’occuper de l’homme blessé dans un endroit où il aurait pu, lui aussi, se faire attaquer. Il ne savait pas si les voleurs étaient toujours dans le coin, ou non. Il prit de son vin et de son huile pour le soigner. Il déchira un morceau tissu ou un de ses vêtements pour bander les plaies du blessé. Il le transporta, passa la nuit à s’occuper de lui, et le lendemain matin, il laissa de l’argent pour qu’on s’occupe de lui. Ce sont des actes d’amour qui coûtent quelque chose.

Les derniers mots que Jésus adressa à l’enseignant de la loi furent : « Eh bien, va, et agis de même. » C’était aussi une façon de lui dire qu’il n’avait pas posé la bonne question. Au lieu de chercher à savoir qui il était tenu d’aimer, il aurait dû demander : « De qui dois-je être le prochain ? » Par cette parabole, Jésus montrait clairement que son prochain—notre prochain—est toute personne qui se trouve dans le besoin, indépendamment de sa race, de sa religion ou de son statut dans la société. Le message de Jésus est qu’il n’y a pas de frontière quand il s’agit de savoir à qui nous devons montrer de l’amour et de la compassion. La compassion va bien au-delà des exigences de la loi. Nous sommes même tenus d’aimer nos ennemis.

Tout au long des Évangiles, Jésus a mis l’accent sur l’amour, la miséricorde et la compassion, plutôt que sur le respect des règles. Au lieu de mettre l’accent sur ce que chacun doit faire, il a mis l’accent sur le type de personne que nous devrions être. Dans ce cas précis, Il nous demande d’avoir de la compassion, de l’amour et de la miséricorde envers ceux qui sont dans le besoin—et pas seulement dans nos pensées, mais par des actes.

Se comporter en prochain de ceux qui sont dans le besoin peut coûter cher. Le Samaritain a risqué sa propre sécurité. C’était un sacrifice financier, en huile, en vin, en vêtements et en argent. Il y a consacré du temps, de l’énergie et des ressources. Aimer les autres est un sacrifice, et parfois cela comporte des risques.

Comme chrétiens et comme disciples de Jésus, nous sommes appelés à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Il n’y a pas de règles strictes qui définissent qui est votre prochain, mais il est clair que lorsque le Seigneur vous fait croiser la route de quelqu'un qui est dans le besoin, Il s’attend à ce que vous vous comportiez en prochain de cette personne.

Le défi que cette parabole nous adresse est « d’aller et d’agir de même », de faire preuve de compassion et d’amour.

Les hommes et les femmes brisés que nous rencontrons dans la vie ne sont peut-être pas physiquement à demi-morts au bord de la route. Mais il y a tant de gens qui ont besoin de sentir de l’amour et de la compassion, de recevoir un coup de main, ou d’avoir quelqu’un qui soit prêt à écouter le cri de leur cœur, pour qu’ils sachent qu’ils sont importants, que quelqu’un les aime et prend soin d’eux. Et si Dieu vous a fait croiser leur route, c’est peut-être parce qu’Il veut que vous soyez cette personne.

Vous pouvez montrer de la compassion en offrant une aide matérielle, un soutien émotionnel, votre amitié ou une aide spirituelle. Vous pouvez aider quelqu’un dans le besoin financièrement, ou en lui apportant un soutien moral, ou en lui faisant connaître Jésus et sa Parole.

Le Christ nous appelle à avoir de la compassion. Comme l’enseignant de la loi et ceux qui entendirent cette parabole de la bouche de Jésus, nous sommes appelés à relever le défi qu’Il nous adresse, c’est-à-dire aller et agir de même.

Ce faisant, voici quelques points à considérer :

Prenez le temps de réfléchir aux principes que Jésus met en avant dans cette histoire.

Dans cette parabole Jésus fixe les vrais critères de l’amour et de la compassion ; et en conclusion, voici les paroles qu’Il nous adresse, à vous et à moi, ses auditeurs d’aujourd’hui : « Eh bien, allez, et agissez de même. »


Le bon Samaritain, Luc 10.25–37

 25 Un enseignant de la Loi se leva et posa une question à Jésus pour lui tendre un piège. —Maître, lui dit-il, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ?

26 Jésus lui répondit : —Qu’est-il écrit dans notre Loi ?

27 Comment la comprends-tu ? Il lui répondit : —Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton énergie et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même.

28 —Tu as bien répondu, lui dit Jésus : fais cela, et tu auras la vie.

29 Mais l’enseignant de la Loi, voulant se donner raison, reprit : —Oui, mais qui donc est mon prochain ?

30 En réponse, Jésus lui dit : —Il y avait un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, quand il fut attaqué par des brigands. Ils lui arrachèrent ses vêtements, le rouèrent de coups et s’en allèrent, le laissant à moitié mort.

31 Or il se trouva qu’un prêtre descendait par le même chemin. Il vit le blessé et, s’en écartant, poursuivit sa route.

32 De même aussi un lévite arriva au même endroit, le vit, et, s’en écartant, poursuivit sa route.

33 Mais un Samaritain qui passait par là arriva près de cet homme. En le voyant, il fut pris de pitié.

34 Il s’approcha de lui, soigna ses plaies avec de l’huile et du vin, et les recouvrit de pansements. Puis, le chargeant sur sa propre mule, il l’emmena dans une auberge où il le soigna de son mieux.

35 Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, les remit à l’aubergiste et lui dit : « Prends soin de cet homme, et tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai moi-même quand je repasserai.

36 Et Jésus ajouta : —A ton avis, lequel des trois s’est montré le prochain de l’homme qui avait été victime des brigands ?

37 —C’est celui qui a eu pitié de lui, lui répondit l’enseignant de la Loi. —Eh bien, va, et agis de même, lui dit Jésus.


NB:

Sauf indication contraire, les passages bibliques cités sont extraits de la Sainte Bible, version du Semeur, copyright ©2000 par la Société Biblique Internationale. Tous droits réservés. Avec permission.



[1] Luc 10:30.

[2] Les explications concernant les prêtres et le temple sont empruntées à Joachim Jeremias, Jerusalem in the Time of Jesus [Jérusalem à l’époque de Jésus] (Philadelphia: Fortress Press, 1975).

[3] Les explications concernant les lévites sont empruntées à l’ouvrage de Joachim Jeremias Jerusalem in the Time of Jesus [Jérusalem à l’époque de Jésus] (Philadelphia: Fortress Press, 1975).

[4] Il envoya devant Lui quelques messagers. En cours de route, ils entrèrent dans un village de la Samarie pour Lui préparer un logement. Mais les Samaritains Lui refusèrent l’hospitalité, parce qu’Il se rendait à Jérusalem. En voyant cela, ses disciples Jacques et Jean s’écrièrent : « Seigneur, veux-Tu que nous commandions à la foudre de tomber du ciel sur ces gens-là, pour les réduire en cendres ? » Luc 9.52–54.

[5] Jean 8.48.

[6] Joel B. Green, Scot McKnight, Dictionary of Jesus and the Gospels[Dictionnaire de Jésus et des évangiles] (Downers Grove: InterVarsity Press, 1992), 725–728.

[7] Dans cet article, j’ai pris comme référence les excellents livres de Kenneth E. Bailey Jesus Through Middle Eastern Eyes[Jésus à travers le regard du moyen Orient] (Downers Grove: InterVarsity Press, 2008). Poet & Peasant, and Through Peasant Eyes, combined edition [Poète et paysan, et à travers le regard d’un paysan, édition combinée] (Grand Rapids: William B. Eerdmans Publishing Company, 1985).

[8] Luc 10.26–27.

[9] Lévitique 19.18.

[10] Deutéronome 6.5.

[11] Luc 10.29.

[12] Lévitique 19.34.

[13] Luc 10.30.

[14] Kenneth E. Bailey, Poet & Peasant, and Through Peasant Eyes, combined edition [Poète et paysan, et à travers le regard d’un paysan, édition combinée] (Grand Rapids: William B. Eerdmans Publishing Company, 1985).

[15] Luc 10.31.

[16] Kenneth E. Bailey, Poet & Peasant, and Through Peasant Eyes, combined edition[Poète et paysan, et à travers le regard d’un paysan, édition combinée] (Grand Rapids: William B. Eerdmans Publishing Company, 1985), 44.

[17] Luc 10.32.

[18] Kenneth E. Bailey, Poet & Peasant, and Through Peasant Eyes, combined edition[Poète et paysan, et à travers le regard d’un paysan, édition combinée] (Grand Rapids: William B. Eerdmans Publishing Company, 1985), 46.

[19] Kenneth E. Bailey, Poet & Peasant, and Through Peasant Eyes, combined edition[Poète et paysan, et à travers le regard d’un paysan, édition combinée] (Grand Rapids: William B. Eerdmans Publishing Company, 1985), 47.

[20] Klyne Snodgrass, Stories With Intent [Des récits pour instruire] (Grand Rapids: William B. Eerdmans Publishing Company, 2008), 355.

[21] Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Lévitique 19.18.

[22] Luc 10.33–34.

[23] Luc 10.35.

[24] Luc 10.36–37.

[25] Matthieu 6.4.

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