Par Peter Amsterdam
octobre 11, 2018
[The Father and the Lost Sons, publié le 27 janvier 2015]
Cette troisième parabole, en Luc chapitre 15, est la suite de la réponse de Jésus aux critiques des scribes et des pharisiens qui Lui reprochaient sa compagnie avec les pécheurs. Il commence par raconter les paraboles jumelles de la brebis perdue et de la pièce de monnaie perdue, qui illustrent toutes deux la joie qu’on éprouve à retrouver ce qui a été perdu. Il poursuit en racontant l’une des paraboles les plus longues et, à mon avis, l’une des plus belles. La parabole comporte trois parties : le départ du fils cadet, son retour à la maison et son accueil par le père, et la conversation finale entre le père et le frère aîné.
Un homme avait deux fils. Le plus jeune lui dit : « Mon père, donne-moi ma part d’héritage, celle qui doit me revenir un jour. » Et le père fit le partage de ses biens entre ses fils. Quelques jours plus tard, le cadet vendit tout ce qu’il avait reçu et s’en alla dans un pays lointain.
Cette exigence extraordinaire du fils cadet n’aurait pas manqué de choquer et de scandaliser les auditeurs de l’époque. Le fils demandait à recevoir la part de l’héritage qu’il recevrait normalement à la mort de son père, alors que celui-ci était encore en vie et en bonne santé. En gros, il disait que son père était comme mort pour lui. Ce faisant, il coupait ni plus ni moins les ponts avec lui. Le manque de respect envers le père était tel que les auditeurs se seraient probablement attendus à ce que Jésus leur dise ensuite que le père était entré dans une grande colère et qu’il avait corrigé son fils pour l’avoir traité d’une manière aussi ingrate et irrespectueuse.
Au lieu de cela, le père donne son accord et partage la propriété entre ses deux fils. En vertu de la loi mosaïque, le fils aîné héritait d’une double portion (dans ce cas, les deux tiers) de tout ce qui appartenait au père, tandis que le fils cadet en recevait un tiers.[1] Un père pouvait partager l’héritage, qui était généralement constitué de terres, entre ses fils n’importe quand. Toutefois, s’il le faisait, il cédait la propriété de ses terres, mais non le contrôle ou l’usufruit de celles-ci. Le contrôle ainsi que les fruits de la terre appartiendraient toujours au père jusqu’à son décès. Il pouvait garder pour lui-même la part des récoltes qu’il choisissait, et ce qu’il ne gardait pas pour lui-même appartenait alors à ses fils. Le père ne pouvait pas vendre la terre, puisqu’elle appartenait désormais aux fils, mais il en conservait l’utilisation et le produit. Si les fils voulaient vendre la propriété, ils le pouvaient, mais dans ce cas, le nouveau propriétaire ne pourrait pas en prendre possession avant le décès du père. Ces règles protégeaient les pères et leur assuraient un moyen de subsistance aussi longtemps qu’ils vivaient.
Le fils cadet présente en fait deux demandes. La première était que le père divise la propriété ; la seconde, que l’on déduit de la première, était qu’il aurait l’entière possession de sa part et le droit d’en disposer. Le fils cadet avait l’intention de vendre son héritage pour se procurer des espèces sonnantes et trébuchantes. Ce faisant, il ne se souciait guère de l’avenir de son père et le traitait comme s’il était déjà mort, tout en le privant d’une partie des fruits de la terre qui lui étaient dus durant sa vieillesse. La réponse du père, qui accepte non seulement de donner au fils cadet sa part de l’héritage, mais aussi le droit de la vendre, aurait été impensable pour les auditeurs de l’époque.
L’auteur Kenneth Bailey a écrit :
A ma connaissance, dans toute la littérature moyen-orientale (exception faite de cette parabole) depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, je ne connais pas un seul cas d’un fils, aîné ou cadet, ayant demandé sa part d’héritage à un père qui était encore en bonne santé. [2]
On peut en déduire que le fils cadet vendit sa part de l’héritage et emporta l’argent dans un autre pays—ce qui signifierait qu’il avait quitté Israël pour aller dans une contrée païenne.
Le frère aîné, qui avait également reçu sa part de l’héritage, comme en témoigne la phrase et le père fit le partage de ses biens entre ses fils, possédait désormais les terres restantes, mais pas le contrôle de celles-ci. Au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, il devient clair que le père était toujours chef de famille et maître de l’exploitation, puisqu’un peu plus loin dans la parabole, il dit au fils aîné : « Tous mes biens sont à toi », étant donné qu’à la mort du père, le fils aîné posséderait et contrôlerait toute la propriété.[3]
Les mésaventures du fils cadet
Jésus nous raconte ensuite ce qui arrive au fils cadet :
Le cadet vendit tout ce qu’il avait reçu et s’en alla dans un pays lointain. Là, il gaspilla sa fortune en menant grande vie. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays-là et il commença à manquer du nécessaire.
En quittant la maison de son père, le fils cadet était libre de vivre sa vie comme bon lui semblait. Ayant pris ses distances avec son père, avec son frère, avec sa communauté et son pays, il mena une vie que l’on peut qualifier de débauche et dissolue, et qui aboutit à la perte de tout ce qu'il avait. Nous verrons plus tard que son frère aîné l’accusera d’avoir dilapidé son argent avec des prostituées et de s’être vautré dans la débauche, bien que cette accusation ne soit pas confirmée dans l’histoire.
Après qu’il eut dépensé tout son argent, une famine se déclara dans le pays où il se trouvait. S’il n’y avait pas eu la famine, il aurait probablement pu travailler pour subvenir à ses besoins, mais en période de famine, c’était très difficile de trouver du travail. Comme nous le verrons, le travail qu’il trouva ne lui permettait même pas d’avoir assez à manger.
« Alors il alla se faire embaucher par l’un des propriétaires de la contrée. Celui-ci l’envoya dans les champs garder les porcs. Le jeune homme aurait bien voulu apaiser sa faim avec les caroubes que mangeaient les bêtes, mais personne ne lui en donnait. »
Un auteur décrit le sort du fils cadet en ces termes :
Quand il se retrouve sans le sou, il se fait embaucher par un citoyen de cette contrée, un non-juif qui élève des porcs et l’envoie dans les champs pour les nourrir. A ce stade, son statut est celui d’un serf—un statut supérieur à celui d'un esclave, mais qui le lie par contrat et l’oblige à travailler pour son employeur pendant une période déterminée.[4]
Les auditeurs de Jésus auraient compris qu’en prenant un travail de porcher, il était tombé au plus bas. Les porcs étaient considérés comme impurs par la loi mosaïque, et des écrits juifs ultérieurs affirmaient que quiconque élevait des porcs était maudit. En gardant des porcs, le fils était tombé dans une profonde déchéance et, comme si cela ne suffisait pas, il était affamé et avait envie de manger la nourriture de ces porcs. Il n’avait rien à se mettre sous la dent et personne ne lui donnait rien. Il savait que s’il ne se ressaisissait pas rapidement, il mourrait de faim. C’est à ce moment-là qu’il « se mit à réfléchir sur lui-même. »
Alors, il se mit à réfléchir sur lui-même et se dit : « Tous les ouvriers de mon père peuvent manger autant qu’ils veulent, alors que moi, je suis ici à mourir de faim ! Je vais me mettre en route, j’irai trouver mon père et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre Dieu et contre toi. Je ne mérite plus d’être considéré comme ton fils. Accepte-moi comme l’un de tes ouvriers. »
Le sens de l’expression « il se mit à réfléchir sur lui-même » a été largement débattu par ceux qui commentent et étudient les paraboles. Certains soutiennent que cela signifie que le fils se repentit ; d’autres sont d’avis que le fils se rendit compte à quel point sa situation était intenable, et que l’idée de retourner chez son père était simplement motivée par la nécessité de sauver sa peau et n’avait rien à voir avec la repentance. Quelle que soit l’interprétation que l’on privilégie, il est clair que le fils revint à la raison et qu’il se rendit compte à quel point il avait été stupide, ce qui aurait constitué un premier pas sur le chemin de la repentance.
Il décida de retourner auprès de son père, de confesser ses torts et son péché, et de lui demander de l’embaucher comme l’un des serviteurs. Qu’est-ce qu’il considérait comme son péché, et qu’est-ce que les auditeurs de la parabole auraient considéré comme son péché ? Très certainement, le fait qu’il ait déshonoré son père et qu’il ait ainsi violé le cinquième commandement en partant de chez lui avec sa part de la propriété. En effet, cela montrait qu’il n’avait aucune intention de remplir son obligation de contribuer à subvenir aux besoins de son père lorsque celui-ci serait devenu vieux. Il avait vendu et gaspillé ce qui, normalement, lui aurait permis de subvenir aux besoins de son père après ses années de labeur, après qu’il aurait cédé la ferme à ses fils.[5]
Se rappelant que les « ouvriers de son père » mangeaient à leur faim, il avait dans l’idée de demander à son père de le traiter comme un de ses employés. Par « ouvrier », on entendait un travailleur agricole journalier, quelqu’un qui n’avait pas d’emploi stable et qui se tenait prêt à être embauché le matin et à travailler toute la journée. Ce type de travailleurs n’avaient pas de relation permanente avec ceux qui les employaient. Dans une situation de ce genre, il ne vivrait pas à la ferme du père, ne mangerait pas à sa table et ne serait payé que lorsqu’il y aurait du travail pour lui. En tant que tel, il n’aurait plus le statut de fils. Son statut serait inférieur à celui des esclaves et des serviteurs de la maison et de la ferme, vu que les esclaves et les serviteurs avaient une relation avec son père, qu’ils vivaient sur la propriété de ce dernier et qu’ils étaient pris en charge par lui. Néanmoins, il considérait que ce serait de loin préférable à sa situation immédiate, étant donné qu’il risquait de mourir de faim dans peu de temps.
Le discours que le fils avait l’intention de prononcer devant son père comprenait un aveu de culpabilité : « J’ai péché » ; une admission d’avoir détruit sa relation avec son père : « Je ne mérite plus d’être considéré comme ton fils... » ; et une proposition de solution : « Accepte-moi comme l’un de tes ouvriers. ». On pourrait en déduire que le fils souhaitait travailler en échange d’un salaire pour rembourser l’argent qu’il avait dilapidé. Rien dans l’histoire n'indique qu’il s’attendait à ce que le père lui accorde un autre statut que celui d’ouvrier journalier.
Il se mit donc en route pour se rendre chez son père. Comme il se trouvait encore à une bonne distance de la maison, son père l’aperçut et fut pris d’une profonde pitié pour lui. Il courut à la rencontre de son fils, se jeta à son cou et l’embrassa longuement. Le fils lui dit : « Mon père, j’ai péché contre Dieu et contre toi, je ne mérite plus d’être considéré comme ton fils. »
La réaction du père en voyant son fils venir au loin a probablement surpris les auditeurs de l’époque. Arland Hultgren explique à quoi on se serait attendu dans de telles circonstances :
Même si le père éprouvait de la compassion pour son fils, la réaction appropriée aurait été de laisser le jeune homme arriver à la maison, d’attendre qu’il tombe à genoux et demande pardon au père. Ensuite, dans le meilleur des cas, le père répondrait en prononçant des paroles de pardon et lui énumérerait ses attentes. Le fils serait en quelque sorte à l’essai, quelque part dans la maison pendant un certain temps ; peut-être pourrait-il y rester jusqu’à ce qu’il ait gagné suffisamment d'argent pour partir et être indépendant une fois de plus.[6]
Le fils avait couvert son père de honte devant tout le village. Ce ne serait que justice s’il laissait son fils venir à lui et traverser le village sous les regards désapprobateurs de la communauté. Mais non, le père, plein de compassion, court vers lui. Le fils est encore loin, peut-être vient–il à peine d’entrer dans le village, quand le père l’aperçoit. Il court vers lui, ce qu’un homme respectable et d’un certain âge ne faisait jamais en public. Pour ce faire, il aurait sans doute dû remonter sa robe et exposer ses jambes, ce que la culture de l’époque considérait comme honteux.[7] Comme nous le verrons plus loin dans l’histoire, il semble que ses serviteurs aient couru derrière lui. Il est très probable que ce groupe de personnes aurait attiré l’attention des villageois. Le premier acte du père est de prendre son fils dans ses bras et de l’embrasser, avant même d’écouter ce qu’il a à dire.
Le fils lui dit : « Mon père, j’ai péché contre Dieu et contre toi, je ne mérite plus d’être considéré comme ton fils... » Mais le père dit à ses serviteurs : « Allez vite chercher un habit, le meilleur que vous trouverez, et mettez-le lui ; passez-lui une bague au doigt et chaussez-le de sandales. »
Le fils commence le discours qu’il a préparé, mais le père ne le laisse pas terminer sa phrase. Il l’interrompt avant que le fils ait pu lui expliquer comment il s’attend à être traité. Quand le père l’entend dire qu’il n’est pas digne d’être appelé son fils, il n’a pas besoin d’en entendre davantage. Il ordonne à ses serviteurs de revêtir le fils des plus beaux habits, de lui passer une bague au doigt et de lui mettre des sandales aux pieds. La réaction du père en dit plus long que n’importe quel discours. Le fait qu’il commande à ses serviteurs de revêtir le fils des plus beaux vêtements garantit que le fils recevra le respect qui lui est dû. Cela indique aux serviteurs comment ils doivent se comporter envers le fils. Les meilleurs habits auraient probablement été ceux que le père portait les jours de fête ou pour des occasions spéciales. La bague est probablement une chevalière, ce qui est une marque de confiance du père envers son fils. Le fait de le chausser de sandales indique à tout le monde que le fils est considéré comme un homme libre dans la maison, et non comme un serviteur.[8]
Par ces actes, le père indique à tous qu’il s’est réconcilié avec son fils. Quand les invités à la fête verraient le fils vêtu de l’habit du père, la bague à son doigt et les sandales à ses pieds, ils comprendraient et accepteraient que le père s’était réconcilié avec le fils et qu’ils devaient, eux aussi, accepter son retour dans la communauté.[9] Toute trace d’animosité à son égard devra disparaître, puisque le père a pardonné au fils. En plus de transmettre un message aux serviteurs et à la communauté, il adresse un message clair au fils. Ce message est qu’il est pardonné. Le fils s’est rendu compte que la réconciliation avec son père n’allait pas se faire en prenant le statut d’ouvrier journalier et en le remboursant. Il ne pourrait pas le mériter.
Comme l’explique Kenneth Bailey :
Maintenant, il sait qu’il n’a aucune solution à offrir pour restaurer leur relation. Il se rend compte que l’important ce n’est pas l’argent qu’il a perdu, mais plutôt la relation brisée qu’il ne peut pas réparer. Maintenant, il comprend que toute nouvelle relation ne peut être qu’un pur cadeau de la part de son père. Il n’a aucune solution à offrir. Ce serait insultant de sa part de proposer de rembourser son père en travaillant pour lui. Désormais la seule réponse appropriée est « Je ne le mérite pas. »[10]
L’accueil chaleureux du père était un acte de grâce imméritée. C’était le pardon. Rien de ce que le fils pourrait faire ne compenserait ses actes passés. Le père ne voulait pas récupérer l’argent perdu ; il voulait récupérer son fils qu’il avait perdu.
« Amenez le veau que nous avons engraissé et tuez-le. Nous allons faire un grand festin et nous réjouir. »
Puis le père ordonne qu’on tue un veau gras. Le fait de préparer un animal aussi gros pour un festin indiquait que beaucoup de gens seraient invités à manger. On peut en déduire qu’il est probable que la plupart des habitants du village, sinon la totalité, seraient invités à la fête. On engraissait un veau pour une occasion de réjouissances comme celle-ci. Et le père exprime avec une grande joie la raison de ce festin, en disant :
« Car voici, mon fils était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et je l’ai retrouvé. » Et ils commencèrent à festoyer dans la joie. »
La phrase « il était perdu, et je l’ai retrouvé » rappelait aux auditeurs les histoires de la brebis perdue et de la pièce de monnaie perdue ; en effet, Jésus avaient employé les mêmes mots dans chacune de ces paraboles précédentes.
Passons maintenant à la phase suivante de la parabole avec l’arrivée du fils aîné.
Pendant ce temps, le fils aîné travaillait aux champs. Sur le chemin du retour, quand il arriva près de la maison, il entendit de la musique et des danses. Il appela un des serviteurs et lui demanda ce qui se passait. Le garçon lui répondit : « C’est ton frère qui est de retour. Ton père a tué le veau gras en son honneur parce qu’il l’a retrouvé sain et sauf. » Alors le fils aîné se mit en colère et refusa de franchir le seuil de la maison.
A la fin de sa journée de travail, le fils aîné rentra des champs qui étaient vraisemblablement situés à une certaine distance du village et de la maison du père. Les préparatifs de la fête avaient duré une bonne partie de la journée, le veau gras avait été abattu, assaisonné et rôti, et les autres aliments préparés. Une fois que tout serait prêt, la fête pourrait commencer. Une fête comme celle-ci se prolongerait jusqu’à tard dans la nuit ; les gens chanteraient et danseraient, ils mangeraient et boiraient du vin, ils parleraient, ils arriveraient et partiraient tout au long de la nuit.[11] Le fils aîné rentra des champs après le début des festivités, ce qui était probablement le cas de la plupart des autres hommes du village qui travaillaient aux champs.
Le frère aîné demanda à l’un des serviteurs ce qui se passait, et on imagine bien qu’il posa d’autres questions au serviteur, puisque plus tard, lorsqu’il parla avec son père, le frère aîné était pleinement conscient du fait que son frère cadet avait gaspillé tout son héritage. Lorsqu’il apprit la raison de la fête et que son père avait accueilli son frère cadet à la maison, il entra dans une grande colère.
La coutume, lors d’une telle fête, voulait que le fils aîné se déplace parmi les invités, dans le cadre de ses responsabilités d’hôte avec son père, qu’il veille à ce que tout se passe bien, que les gens aient suffisamment à manger et à boire, et qu’il donne des instructions aux serviteurs, etc. Dans une situation de ce genre, on se serait attendu à ce que le fils aîné participe au moins aux festivités et fasse semblant de célébrer le retour de son frère, et qu’il repousse toute discussion houleuse avec son père à plus tard, dans un cadre privé. Mais le frère aîné rompt avec le protocole et refuse publiquement d’entrer dans la maison et de se joindre aux festivités ; il va même jusqu’à se disputer avec son père en public, comme nous allons le voir. Sa façon d’agir est pour le moins irrespectueuse et insultante.
Son père sortit et l’invita à entrer. Mais lui répondit : « Cela fait tant et tant d’années que je suis à ton service ; jamais je n’ai désobéi à tes ordres. Et pas une seule fois tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand celui-là revient, ‘ton fils’ qui a mangé ta fortune avec des prostituées, pour lui, tu tues le veau gras ! »
Au risque d’être humilié et de se couvrir de honte devant ses invités, le père quitte la fête pour aller supplier son fils de se joindre aux festivités. La réponse du fils est pleine d’insolence, d’amertume et de ressentiment, et elle est révélatrice de la façon dont il voit sa relation avec son père. Il commence par lui manquer de respect en ne s’adressant pas à lui en tant que père, mais en allant droit au but et en l’agressant verbalement. Il lui dit qu’il s’est échiné à travailler pour lui pendant des années, se considérant ainsi comme un esclave plutôt que comme son fils. Il prétend n’avoir jamais désobéi à un ordre de son père, mais c’est pourtant ce qu’il fait en ce moment-même, en refusant d’accéder à la demande de son père qui est venu le supplier de prendre part à la fête. Puis il accuse son père de favoritisme, sous prétexte que celui-ci a honoré son fils cadet en tuant un veau gras, alors qu’il n’a jamais donné à son fils aîné ne serait-ce qu’un chevreau pour manger avec ses amis. Il s’obstine à refuser toute relation avec son frère en l’appelant « ton fils ». Il accuse son frère d’avoir dilapidé les biens de son père avec des prostituées, dans le but de le discréditer encore davantage aux yeux de ce dernier.
C’est comme s’il disait : « J’ai été un bon fils, j’ai travaillé pour toi, je t’ai obéi ; par conséquent, j’estime que tu m’es redevable. » Ce qu’il veut dire, c’est que sa relation avec son père s’apparente à celle d’un ouvrier avec un employeur plutôt que celle d’un père avec son fils. Sa relation avec son père est une relation basée sur le droit, le mérite et la récompense, au lieu d’être une relation ancrée dans l’amour et la bienveillance.[12] Il apparaît clairement que le fils aîné, tout comme le fils cadet, s’intéresse davantage aux biens matériels de son père qu’à sa relation avec lui. C’est quelque chose qui doit être très douloureux à entendre pour un père.
Comment le père réagit-il ? Exactement comme il l’a fait avec son autre fils perdu : en faisant preuve d’amour, de bonté et de miséricorde. Le fils aîné, comme le plus jeune, a une relation brisée avec son père. La relation du fils cadet a été restaurée par l’amour du père, et maintenant le père cherche à rétablir sa relation avec son fils aîné de la même manière. Il dit :
« Mon enfant, tu es constamment avec moi, et tous mes biens sont à toi. »
Même si son fils aîné ne l’appelle pas père, le père l’appelle toujours fils, et certaines traductions emploient même la forme plus affectueuse, mon fils ou mon enfant. Le fils se considère peut-être comme « l’esclave » de son père, mais le père, lui, voit en son fils un compagnon qui est toujours avec lui, et il le considère comme le copropriétaire de la ferme. Tout ce qui appartient au père est aussi à lui. Le fils aîné est propriétaire de la ferme qui lui a été léguée lors du partage entre les deux fils. Il ne pourra en avoir le contrôle qu’à la mort de son père, mais tout ce qui est au père lui appartient.[13]
Au lieu de s’indigner, le père réagit avec tendresse et amour, comme il l’a fait avec son fils cadet. Comme le cadet, son fils aîné a avec lui une relation brisée, et il veut la réparer. Les deux fils ont besoin de se réconcilier et de restaurer leur relation avec leur père. Et tous deux reçoivent du père le même amour empreint d’humilité.
La dernière déclaration du père exprime sa joie de savoir que le fils cadet, qui était perdu, est maintenant retrouvé.
« Mais il fallait bien faire une fête et nous réjouir, puisque ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, puisqu’il était perdu et voici qu’il est retrouvé. »
La parabole laisse le soin à l’auditeur d’imaginer si le frère aîné, qui était lui aussi perdu, sera retrouvé et restauré, car elle ne nous dit pas quelle est sa réponse.
Dans le contexte particulier où il racontait la parabole, Jésus expliquait pourquoi Il mangeait avec les collecteurs d’impôts et avaient des interactions avec les pécheurs qui venaient à Lui. Il était là pour montrer l’amour et la grâce de son Père à ceux qui étaient perdus, pour leur apporter réconciliation et restauration. Son ministère était de chercher et de sauver les perdus.[14] En critiquant les interactions de Jésus avec les pécheurs, les pharisiens, comme le frère aîné, montraient qu’ils étaient incapables de se réjouir que les perdus soient retrouvés, que leurs frères et sœurs soient accueillis dans les bras de leur Père, et qu’ils soient aimés et revenus à Lui. Ils avaient servi Dieu et observé ses commandements et, comme le frère aîné, ils avaient l’impression d’avoir gagné leur place dans la maison du Père. Mais, comme le frère aîné, ils n’avaient rien compris et ne voyaient pas que la relation que Dieu souhaitait avoir avec eux était celle d’un Père avec son fils, et non une relation de maître à serviteur.
Les Pharisiens ont donc la possibilité de changer leur façon de penser, de se rendre compte que Dieu se réjouit immensément quand celui qui est perdu est retrouvé, et que les perdus sont au cœur du ministère de Jésus. Ils sont invités à se joindre aux festivités, mais le feront-ils ? En résumé, Jésus invite les auditeurs à écrire la fin de l’histoire en fonction de la façon dont ils réagiront.
Cette parabole et les deux précédentes nous apprennent quelque chose de magnifique sur Dieu, notre Père. Il est plein de compassion, de grâce, d’amour et de miséricorde. Comme le père de l’histoire, Il nous laisse prendre nos propres décisions, et Il nous aime, peu importe ce qu’elles sont et où elles nous mèneront. Il voudrait que tous ceux qui se sont égarés, qui sont perdus, et qui ont une relation brisée avec Lui, rentrent à la maison. Il les attend et les accueillera à bras ouverts en célébrant leur retour dans la joie.
Les fils avaient tous deux une vision déformée du père, semblable à celle que beaucoup de gens ont de Dieu aujourd’hui. Le fils rebelle voulait être indépendant, il avait rompu la relation avec son père et vécu comme il l’entendait. Il voulait profiter des avantages de ce que le père possédait, mais il ne voulait pas de relation avec lui. Le fils aîné, quant à lui, obéissait au père et se comportait en sorte qu’on le perçoive comme un fils dévoué et fidèle, mais il était lui aussi dans l’erreur. Le fils aîné essayait de se faire accepter par son père, tandis que le fils cadet se rebellait contre lui. Les fils avaient tous deux une relation brisée avec leur père ; tous deux étaient perdus et avaient besoin d’être retrouvés. Le père leur offrit son amour à tous les deux. Il alla au devant de chacun d’eux, et alors même que les deux fils l’avaient profondément offensé et blessé, il les accueillit sans réserve.
C’est l’attitude de Dieu envers chaque personne. Il aime et désire profondément avoir une relation sans tâche avec chacun de nous. Il va à la recherche des perdus et se réjouit profondément quand ils rentrent à la maison. Il les accueille à bras ouverts, peu importe qui ils sont ou ce qu’ils ont fait. Il leur pardonne, Il les aime, Il les accueille. Comme le dit le vieil hymne : « Revenez, rentrez à la maison … vous qui êtes fatigués, rentrez à la maison ! »
Nous, les chrétiens, pouvons facilement adopter l’attitude du frère aîné. Nous pouvons facilement tomber dans le même état d’esprit : « J’ai fait tellement de choses pour Dieu qu’Il m’est redevable. » Nous pouvons très bien désirer ses bénédictions spirituelles et physiques, sans vraiment Le vouloir, Lui. Nous pouvons mépriser et juger les fils cadets de ce monde qui ont coupé les ponts avec Dieu, et croire que nous valons mieux qu’eux.
Nous devrions toujours être conscients de l’amour de Dieu, qu’Il manifeste non seulement à nous qui croyons, mais à toute l’humanité. Le Père aime profondément chaque être humain. Jésus a donné sa vie pour chaque personne. Nous sommes appelés à partager cette nouvelle avec les autres. Et pour ce faire, nous devons, comme Jésus, aller les chercher, faire l’effort de les atteindre, partager le message que Dieu les aime et qu’Il veut avoir une relation intime avec eux. Dieu est généreux, plein d’amour et de miséricorde. Il aime chaque personne et nous a appelés à être ses représentants, à suivre l’exemple de Jésus, à faire preuve d’un amour inconditionnel, à aimer les mal-aimés et à incarner les principes des paraboles de Luc 15. Il nous incombe donc d’aller chercher ceux qui sont perdus pour les rétablir, et de nous réjouir en célébrant le retour de ceux qui étaient perdus et qui ont été retrouvés. Puisse le Seigneur aider chacun d’entre nous à faire cela.
Le père et les fils perdus, Luc 15.11–32
11 Puis il poursuivit :—Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune lui dit : « Mon père, donne-moi ma part d’héritage, celle qui doit me revenir un jour. »
Et le père fit le partage de ses biens entre ses fils.
13 Quelques jours plus tard, le cadet vendit tout ce qu’il avait reçu et s’en alla dans un pays lointain. Là, il gaspilla sa fortune en menant grande vie.
14 Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays-là et il commença à manquer du nécessaire.
15 Alors il alla se faire embaucher par l’un des propriétaires de la contrée. Celui-ci l’envoya dans les champs garder les porcs..
16 Le jeune homme aurait bien voulu apaiser sa faim avec les caroubes que mangeaient les bêtes, mais personne ne lui en donnait.
17 Alors, il se mit à réfléchir sur lui-même et se dit : « Tous les ouvriers de mon père peuvent manger autant qu’ils veulent, alors que moi, je suis ici à mourir de faim !
18 Je vais me mettre en route, j’irai trouver mon père et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre Dieu et contre toi.
19 Je ne mérite plus d’être considéré comme ton fils. Accepte-moi comme l’un de tes ouvriers. »
20 Il se mit donc en route pour se rendre chez son père. Comme il se trouvait encore à une bonne distance de la maison, son père l’aperçut et fut pris d’une profonde pitié pour lui. Il courut à la rencontre de son fils, se jeta à son cou et l’embrassa longuement.
21 Le fils lui dit : « Mon père, j’ai péché contre Dieu et contre toi, je ne mérite plus d’être considéré comme ton fils... »
22 Mais le père dit à ses serviteurs : « Allez vite chercher un habit, le meilleur que vous trouverez, et mettez-le lui ; passez-lui une bague au doigt et chaussez-le de sandales.
23 Amenez le veau que nous avons engraissé et tuez-le. Nous allons faire un grand festin et nous réjouir,
24 car voici, mon fils était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et je l’ai retrouvé. » Et ils commencèrent à festoyer dans la joie.
25 Pendant ce temps, le fils aîné travaillait aux champs. Sur le chemin du retour, quand il arriva près de la maison, il entendit de la musique et des danses.
26 Il appela un des serviteurs et lui demanda ce qui se passait.
27 Le garçon lui répondit : « C’est ton frère qui est de retour. Ton père a tué le veau gras en son honneur parce qu’il l’a retrouvé sain et sauf. »
28 Alors le fils aîné se mit en colère et refusa de franchir le seuil de la maison. Son père sortit et l’invita à entrer.
29 Mais lui répondit : « Cela fait tant et tant d’années que je suis à ton service ; jamais je n’ai désobéi à tes ordres. Et pas une seule fois tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis.
30 Mais quand celui-là revient, « ton fils » qui a mangé ta fortune avec des prostituées, pour lui, tu tues le veau gras ! »
31 « Mon enfant, lui dit le père, tu es constamment avec moi, et tous mes biens sont à toi ;
32 mais il fallait bien faire une fête et nous réjouir, puisque ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, puisqu’il était perdu et voici qu’il est retrouvé. »
Note
Sauf indication contraire, les passages bibliques cités sont extraits de La Bible du Semeur Copyright © 1992, 1999 by Biblica, Inc.® Tous droits réservés. Avec permission.
[1] Il reconnaîtra comme premier-né le fils … et lui donnera une double part de l’héritage de tout ce qu’il possède, car c’est lui qui est le premier rejeton de sa vigueur, c’est à lui qu’appartient le droit d’aînesse. (Deutéronome 21.17).
[2] Bailey, Poète et paysan, 145.
[3] Hultgren, Les Paraboles de Jésus, 74.
[4] Hultgren, Les Paraboles de Jésus, 75.
[5] Hultgren, Les Paraboles de Jésus, 77.
[6] Hultgren, Les Paraboles de Jésus, 78.
[7] Bailey, Poète et paysan, 181.
[8] Jeremias, Redécouvrir les paraboles, 103.
[9] Bailey, Poète et paysan, 185.
[10] Bailey, Poète et paysan. 184–185.
[11] Bailey, Poète et paysan, 193.
[12] Hultgren, Les Paraboles de Jésus, 80.
[13] Hultgren, Les Paraboles de Jésus, 82.
[14] Luc 19.10.
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